Machine Gun Kelly, nuances de lumière

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Premier article de musique de l’année, dans la rubrique Rap US ! 2017 commence par le portrait d’un artiste assez peu médiatisé dans notre cher pays, mais qui possède une place particulière dans le paysage du hip-hop américain. Ses opinions anarchiques et son univers musical enragé on fait de lui un personnage atypique et un rappeur respecté outre-Atlantique. Un paradoxe pour cet artiste anti-star system.

 

Le commencement

Machine Gun Kelly, de son vrai nom Richard Colson Baker, est une parfaite illustration du scénario sur-utilisé du gamin qui a fait du néant une richesse.

Né à Houston, il passe ses premières années à voyager au gré des jobs de ses parents. Egypte, Allemagne, États-Unis, (…), lui qui a appris l’arabe avant l’anglais parental peut s’appuyer sur un environnement culturel épanouissant de part ses différents voyages. Mais lorsqu’on a pas encore 10 ans, l’absence d’un foyer stable peut vite se traduire par un manque de repères.

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© machinegunkelly

Cela est d’autant plus valable quand ses parents se séparent, et que le jeune Kells doit vivre seul avec son père dans un climat conflictuel. L’autorité parentale omniprésente amenait à des disputes fréquentes, qui se transformèrent peu à peu en violence.

That’s why I grew up with this giant ‘fuck authority’ type mentality. He gave me a choice when I was a kid: He was like, ‘You can grow up and either get a car or you can grow up and get a tattoo.’ And I was like, ‘I’m going to grow up and get a tattoo.’ 

À 14 ans, un ultime déménagement à Cleveland permet à l’adolescent de se stabiliser, et enfin de se sentir chez soi. L’intégration dans cette ville de l’Ohio ne fût pas facile pour lui, notamment au niveau scolaire. Un petit blondinet qui s’initie au rap dans un collège majoritairement composé de jeunes noirs ne passe pas inaperçu, ce qui a fait de lui une cible pour ses camarades.

I remember in math class one time, this kid came up and just balled my shit up, threw it all on the fucking floor, (…) that was a huge memory for me, when this kid threw all my raps on the floor.

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© yahoo

Parce que oui, cette période fût celle de l’éveil d’une conscience musicale pour Kells. En plus de ses influences metal et punk rock, il écoute puis s’inspire du flow rythmé et agressif de DMX, du sarcasme textuel de Ludacris, et de la sincérité de Tupac pour commencer à se différencier.

Ainsi est né le personnage de Machine Gun Kelly, dont le nom est inspiré d’un des plus célèbres gangsters de l’époque de la prohibition : George « Machine Gun » Kelly. Flippant.

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© alcatrazhistory

Cependant, même l’obtention de son diplôme n’arrangea pas les rapports avec son père, et après une ultime bagarre durant laquelle ce dernier essaya de l’étrangler, il quitta le foyer parental.
18 printemps et nulle part où aller, c’est ce qu’on pourrait appeler le néant.

Dans la foulée, il perd le job qui lui permettait de payer son loyer, sa petite amie tomba enceinte, et il se mit à dealer. Une période difficile, qui affirma un peu plus son style musical engagé.
Mais cette année là fût aussi celle de sa rencontre avec Ashleigh VeVerka, une salarié des Ohio Hip-Hop Awards. Elle croyait en son talent, mais aussi en son énergie et sa détermination presque folle.

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© machinegunkelly

Le rôle d’Ashleigh ne s’arrêta pas à celui de manager. Elle devient une amie, puis une nouvelle famille. Sa mère, Bridget VeVerka, déménagea dans une plus grande maison pour accueillir Kells, son pote Allen, et son frère. C’était l’amour maternel que MGK venait de retrouver dans ce nouveau foyer de Cleveland.

She’s my mom, man, (…) she deserves it all. She 100 percent saved my life.

Peu à peu, ce nouveau foyer est devenu un studio pour le jeune rappeur, et Allen prit le rôle de producteur. C’est dans cette « Rage Cage », comme ils aiment l’appeler, que MGK et ses potes enregistrent Lace Up, la mixtape qui attire l’attention de P. Diddy.
Son travail non-censuré et indépendant lui permet de participer à l’un des shows de Diddy, et de se voir proposer un contrat de 2 albums avec le label New-Yorkais Bad Boy / Interscope.
La mixtape fût finalisée et transformée en album, lui aussi appelé Lace Up, pour finalement sortir en 2012.

I think God had a plan for Lace Up, (…) I was making music to save myself, and it ended up saving everybody else.

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© machinegunkelly

C’est durant cette période de grands changements que Machine Gun Kelly commence à s’auto-définir comme un rager, un terme controversé mais qui a le mérite d’affirmer un peu plus le personnage.

I’ve been a rager since I came out of my mother’s vagina.

Ce masque semble être la partie visible d’une carapace construite grâce aux fragments éparpillés aux 4 coins du monde d’un passé pas si lointain.
Le rager qu’il est sur scène et en studio contraste avec l’artiste si proche de ses fans qu’il devient, et surtout le jeune homme qu’il reste. Certains moments de lâcher-prises trahissent le personnage, comme pour la naissance de sa fille en marge d’un concert.

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© machinegunkelly

La genèse et l’histoire de ce paradoxe anarchique est racontée à même le corps du rappeur. Les tatouages sont pour lui un hommage : le nom de sa fille Casie sur les côtes, ou les nombres 216 et 303 relatifs à Cleveland et Denver le long de ses bras en sont des exemples.

Un art qui se transmet à ses cult following, ce groupe élargi de fans qui l’a propulsé vers la lumière et dont il est si proche, qui se tatouent à leur tour les messages portés par l’artiste.

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© Inked

Ainsi, l’adolescent qui se baladait dans le néant est devenu un artiste riche. Riche d’une nouvelle famille, riche de la reconnaissance de ses fans, et riche d’un avenir musical prometteur.
Cela ne l’empêche cependant pas de se perdre dans le tumulte de sa nouvelle vie, pour in fine entrer dans une sorte de routine métro-boulot-dodo version star de la scène hip-hop américaine : concert, sexe, et excès en tous genres. Un cercle vicieux qui semble perdurer aujourd’hui pour lui.

Cela ne stoppe pas son ascension, puisqu’il fût nommé la même année par le magazine XXL dans la freshmen list, aux côtés de noms prestigieux tels que Macklemore, Danny Brown, ou encore Future.

La musique de MGK

L’ascension

Il n’a que 26 ans, mais la discographie de Machine Gun Kelly est déjà bien garnie. Avant ses 2 albums studios, Kells avait déjà sorti pas moins de 8 mixtapes et 1 EP. Un travail qui lui a permis d’affiner son univers musical et de travailler son flow si particulier.
C’est pour cette raison que nous allons nous concentrer principalement sur ses albums. Loin de moi l’idée de masquer, par exemple, un manque de recherche et/ou d’écoute de des mixtapes. Mais alors pas du tout du tout.

Mais j’ai quand même bossé mon sujet, et finalement, l’ascension de MGK pourrait se résumer en 3 dates. Les 3 jours de sorties de 3 morceaux qui lui ont permis d’imposer son style, et qui ont braqués les projecteurs sur l’Ohio.

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© machinegunkelly

En 2010, le titre Alice In Wonderland sort, avec son clip. Cela permet à l’artiste de remporter ses premières récompenses locales, comme un Ohio Hip-Hop Awards. La voix et le flow sont reconnaissables, mais le morceau est encore un peu monotone. On n’y découvre pas de réelle empreinte musicale, le personnage est en construction.

8 mois plus tard sort Cleveland, un hymne à sa ville de coeur. Il devient ainsi une icône locale, et son titre est toujours joué lors des matchs à domicile des Cavaliers de LeBron James. MGK joue avec l’énergie du morceau, et son flow franc et agressif donne un aperçu de l’univers du rappeur.

C’est en 2011 que Machine Gun Kelly gagne la crédibilité nationale et internationale qui lui manquait, grâce à sa collaboration avec Waka Floka Flame sur le titre Wild Boy. Je pourrais vous écrire un pavé sur ce morceau, mais je pense qu’il parle de lui-même.
C’est provocateur, brut, vulgaire, mais bon sang, ce refrain te reste dans la tête.

Lace Up, 2012

Ce dernier clip fût en quelque sorte le fer de lance du premier album studio de MGK, Lace Up, sorti après 3 mois de travail acharné.

L’opus s’ouvre sur le titre Save Me, co-produit avec le chanteur et le guitariste du groupe de metal américain Avenged Sevenfold. Cette introduction est un instant de mémoire, durant lequel il rend hommage à ceux qui l’ont aidé, et qui lui ont en quelque sorte sauvé la vie.
Ainsi, nous pouvons comprendre que cet album est un aboutissement pour le jeune artiste, qui est conscient qu’il doit sa place aussi à ses cult following.

Le morceau See My Tears illustre justement cette relation gagnant-gagnant si particulière qu’il existe entre le rappeur et son public. Il améliore le quotidien de ses fans, qui lui expriment en retour un fidélité poignante.
Mais ce titre est aussi 4 minutes de confession sur sa vie, et le contraste qu’elle laisse apparaitre. Une vie de richesse sous les projecteurs qui s’accompagne d’un cercle vicieux dont je vous ai déjà parlé, et qui n’est pas visible aux yeux de tous.

The same way you cannot see someone’s tears inside the rain, a smiling face will hide the eyes of pain.

Le cercle vicieux dans lequel est tombé MGK est caractérisé par son addiction à l’héroïne. C’est son démon à lui, celui qu’il décrit dans le morceau D3mons, en featuring avec DMX.
Cette production est également très intéressante musicalement parlant, le premier s’inspirant du second. L’instru propose un tableau lourd, pesant, où la rage tend à submerger les protagonistes.

Finalement, cet album est une illustration parfaite de l’univers musical de Machine Gun Kelly. L’influence du métal et de la culture punk est aisément identifiable chez ce fan des Blink-182.
Cela permet une dualité rap/metal que je n’ai jusqu’à présent retrouvé que très rarement, tant l’association de ces 2 genres musicaux est difficile. Demandez son avis à Lil Wayne.

Un premier opus également marqué par les nombreuses collaborations qui viennent enrichir un contenu qui attisait déjà ma curiosité. En plus d’Avenged Sevenfold, des artistes tels que Bun B, Lil Jon, Twista, Planet VI (du groupe R. City) ou encore le compositeur Blackbear accompagnent le rappeur de Cleveland vers le rêve de sa vie.

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General Admission, 2015

Un premier album très prometteur et 2 mixtapes plus tard, Machine Gun Kelly jugea qu’il était temps de travailler sur un nouvel opus. Il avait désormais la reconnaissance de la part de la scène hip-hop, mais la sortie de l’album sophomore est un exercice périlleux pour tout artiste qui souhaite s’installer durablement.

General Admission est, comme le voulait MGK, un album plus riche d’un point de vue instrumental. Fidèle à ses valeurs, il reste aussi très brut de décoffrage.
L’artiste écrit et compose avec ses tripes, pour un rendu tantôt émotionnel, tantôt durement réaliste.

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Produire un enregistrement plus instrumental est un choix audacieux, tant il rend l’album moins radiophonique. Ce pari est toutefois réussi puisqu’il reçu la même reconnaissance que le premier album. Une régularité certainement due à son noyau dur de fans, fidèles au poste.

Le titre Till I Die est un peu l’équivalent de Wild Boy dans cet opus : un morceau brut, qui sert de teasing à la sortie de l’album. C’est aussi un retour aux sources, à ses influences premières mais surtout à l’endroit où il a grandit : Cleveland.

In the hood, I’m good till I die, CLE till I die.

Mais c’est bien le titre Spotlight qui ouvre cet album, et qui dicte un peu le ton de celui-ci. Dans sa recherche d’un son plus instrumental, ce morceau est le premier entièrement joué à la guitare par MGK lui-même. Réalisé en collaboration avec Lzzy Hale, la chanteuse du groupe de hard-rock Halestorm, cette composition vous donne dès les premières secondes un aperçu intéressant de l’univers de l’opus.

Son duo avec le polyvalent Kid Rock sur Bad Mother F*cker est un mélange intéressant entre rap et rock. Celui qui a inspiré des artistes majeurs de la scène hip-hop, grâce à sa capacité à mélanger un flow rythmé et des sonorités country acoustiques, accompagne MGK sur un featuring complémentaire.
Il est le premier de 4 titres clairement inspirés de la scène metal. Encore une fois, l’artiste confirme sa maitrise d’un style hybride.

Mais General Admission est aussi un album plus dans l’introspection. Si personnelle tout en restant dans la réserve, cette création est mise en valeur par des compositions ou des samples plus calmes que ce à quoi le fougueux Kells nous avait habitué.

Au phrasé agressif du rappeur s’ajoutent des mélodies instrumentales limpides pour créer des paradoxes intéressants.
Je pense notamment à All Night Long, un morceau dans lequel MGK se remémore le chemin parcouru dans un monologue outro accompagné au piano. Une touche d’optimisme dans l’oeuvre d’un artiste somme toute assez mélancolique.

Ce second album est donc celui de la confirmation pour Machine Gun Kelly, même si il se fout royalement de mon avis. On retrouve certains tableaux déjà abordés dans Lace Up, un mélange homogène de textes écrus et d’influences diverses.

Dans un soucis de liberté artistique et d’indépendance, les créations de cet artiste ne sont pas les plus médiatisées, toutes proportions gardées bien sûr. Un choix qui doit nous ravir, car nous aurons toujours l’assurance de tendre notre oreille vers une mélodie sincère et made in Cleveland.

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L’instant « J’ouvre mon petit coeur »

Pour le coup, il est vraiment difficile de faire le choix d’un morceau favori dans une discographie si homogène.
Je l’ai donc joué un peu facile, et je suis allé cherché dans les morceaux qui squattent mon iPod depuis un certain temps déjà. Et je suis tombé sur Invincible.

Alors effectivement, c’est l’un des morceaux les plus médiatisés, il est dans la pure tradition du featuring rappeur – chanteuse à voix, et il n’est pas particulièrement original.
Il n’empêche que ce titre a un petit goût de revanche pour MGK. Il y parle de ses débuts difficiles, de sa ville de coeur, de ses cult following et de ses influences. Bref, c’est un mélange de bons et de mauvais souvenirs qui ont fait l’artiste qu’il est aujourd’hui.

Pour moi, c’est un titre qui résume le personnage de Machine Gun Kelly, mais également Richard C. Baker, prince des rues de Cleveland.

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Il est temps de conclure

Les influences et les inspirations de Machine Gun Kelly sont diverses et atypiques dans le hip-hop américain.
Il a accordé un interview particulièrement intéressant à Complex UK, dans lequel il livre ses 30 albums préférés. On y retrouve bien sûr 2Pac, Eminem et DMX, mais aussi les Guns & Roses et Blink 182.
Plus surprenant cependant, et pour mon plus grand plaisir, sont inclus dans cette liste l’album éponyme de Bon Iver et Kid A de Radiohead. Des artistes aux travaux plus instrumentaux et expérimentaux qui démontrent une certaine liberté créative chez le rappeur.

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Aussi talentueux soit-il, Kells semble être aussi fougueux que ses lives. Ce qui m’amène à modifier quelques lignes citées au début de cet article.
J’y expliquais que l’histoire de MGK était celle d’un gamin qui avait transformé le néant en richesse. Après réflexion, je dirais qu’il est un artiste qui oscille entre richesse et néant, du rêve de la scène à la dépendance journalière.
Une part d’ombre et de lumière qui continuera certainement d’influencer le rappeur dans ses écrits.

P.S : J’aimerais vraiment voir ce mec en concert. C’est un grand malade, je vous laisse découvrir pourquoi.

 La photo à la une est une photo de © Billboard. Vous pouvez nous rejoindre sur Facebook et Instagram, histoire de nous encourager kwa.

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