Sampha, la soul ne meurt jamais

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Le 16 mars dernier, un article web de elle.fr titrait « Sampha, Khalid et Childish Gambino : la relève soul 2017 ». Des noms bien connus de mon top actuel en ce début d’année, sauf Sampha dont j’ai pourtant déjà vu passer le nom. À ce moment-là je me dis :  « tiens, tu commences à le voir partout, un peu comme Parcels, faudrait pas que tu passes à côté ! ». Ni une ni deux, je visse mon casque sur la tête, m’empresse d’ouvrir Spotify que je délaisse depuis des semaines la faute aux révisions, et pars pour 2h d’écoute. Autant vous dire que j’ai adhéré assez rapidement à son univers, ce qui m’a mené ici à écrire ces lignes.
Sampha, sans filtre, c’est par ici que ça se passe.

Le commencement

Sampha Sisay et la musique, c’est une histoire précoce. De parents sierra-léonais et cadet d’une belle fratrie de cinq frères, le jeune londonien vient d’une famille modeste. Ses premières notes de musiques à l’âge de trois ans l’engagent dans le piano, avec qui il est marié depuis maintenant un quart de siècle. Jusqu’ici tout va bien, mais les choses ne vont pas tarder à s’assombrir autour de notre pauvre Sampha

Son père décède alors qu’il n’a que 9 ans. Il se retrouve alors isolé avec sa mère, ses grands frères ayant tous déménagés. C’est dans ce contexte pour le moins compliqué que Sampha va enrichir sa culture, notamment musicale à travers le piano et les vinyles légués par son père. À la maison, il passe donc les disques de Salif Keita et Oumou Sangaréen en boucle dans sa chambre.

Oui, j’ai mis l’originale et pas le remix de Martin Solveig, non mais oh ! 

Curieux, Sampha aime varier les plaisirs. Il apprécie autant un bon Clash qu’un Stevie Wonder (sans blague?), ou bien les Daft Punk et les Strokes. Cette diversité des styles, le jeune homme va la transposer dans ses travaux futurs

Au tableau des influences majeures, une période : l’adolescence.
Une phase de rejet ? De solitude ? Un désir d’émancipation ? Sampha s’en fout ! À ce moment là, il découvre le hip-hop et la Grime. Un style initialement anglais, à la croisée du DanceHall, du UK Garage, du Drum and Bass et bien sûr du hip-hop. Encore de jolies noms tient !


Cette période va générer chez lui une réelle envie de produire. Son rêve ? Faire des beats sur lesquels les meilleur emcees puissent poser leurs flows. Quelques années de pratique et d’entrainement suffiront pour qu’il passe du statut d’inconnu à celui d’auteur-compositeur qui pousse parfois la chansonnette, sans jamais s’y attarder. Une publication sur Myspace (Subconsciousextrait de son premier EP), un repérage par le très bon SBTRKT et l’affaire est dans le sac. Un artiste à l’avenir plus que prometteur était né.

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Au bal masqué ohé ohé ! Les deux copains en live portant le masque qui a fait toute la réputation de SBTRKT. Extrait à venir dans la prochaine partie !

En 2011, il sort un premier EP, Sundanza, sorti sous le label Young Turks. L’ambiance y est expérimentale, les arrangements sont intéressants et tutoient sur certains aspects la house et l’univers de SBRTKT, son mentor.

Après ce premier essai passé presque inaperçu, un second extended play voit le jour en 2013, Dual. L’univers a radicalement évolué, tourné vers la soul, cette musique qui fait du bien. Ce pas vers l’émotion et la mélancolie est certainement dû au contexte difficile que Sampha subit, puisque sa mère se bat contre le cancer. L’extrait qui suit, Indecision, en est la parfaite illustration.

Le piano devient prégnant dans l’instrumentale de Sampha, cet instrument qu’il affectionne tant. Son père avait acheté un Challen, piano « made in London » dont il s’est servi de nombreuses années. 

Nous sommes en 2015. Sampha est en plein boom lorsque sa mère décède. Un évènement bouleversant qui l’amène à s’isoler en Norvège pour une temps, temps durant lequel il composera Process, son premier album. En parallèle, Sampha commence à se faire entendre outre atlantique.


Cette période signe sa révélation au grand public. Depuis 2015, il collabore avec les grands noms du hip-hop mondial actuel et, on peut le dire, a participé (que ce soit en production ou en featuring) à certains albums entrés au panthéon 2016, voire mondial, du hip-hop. Ainsi, c’est avec Drake (sur Too Much , The Motion et récemment 4422), Kanye West (sur Saint Pablo), Jessie Ware (What You Won’t Do for Love et Valentine), Frank Ocean (sur Alabama) et Solange Knowles (Don’t Touch My Hair) que Sampha collabore. Tous ont tous fait appel au talent du Londonien, et le résultat est des plus satisfaisant

Avec ce type de collaboration, on rentre dans une autre dimension, je vous l’accorde. 

Début 2017, Process sort enfin. Un disque très attendu dans le monde du hip-hop et de la soul. Cet opus est terriblement passionnant. Il dégage un angle neuf, le fameux, que peu d’artistes trouvent (ou cherchent), dans leur quête d’originalité et de renouvellement.
Combien de fois, a-t-on vu je-ne-sais-quel rappeur ou artiste pop nous resservir la soupe tiède de son nouvel album ayant les mêmes saveurs que celui d’il y a deux ans. Même si ce que je dis n’a pas grand sens puisqu’il s’agit de son premier album, j’avais envie de le revendiquer dans cet article.
Pour parler simple, je trouve Process très cool, et vais tenter de décrypter quelque peu son univers musical  à travers cet opus dans la prochaine partie.

La musique de Sampha

Une voix assumée sur le tard

Sampha sait chanter. Jusque là rien d’extraordinaire, il a une voix et n’a pas besoin de sampha-briquer une. Reste à l’utiliser. S’il le fait maintenant de manière naturelle, ça n’a pas toujours été le cas.
C’est bien SBTRKT qui a révélé sa voix. En 2011 sur Hold On, Sampha signe un des meilleurs morceaux d’un des meilleurs albums de l’année. Ce titre n’est pas seulement un énième featuring entre un groupe électro-jesaispasquoi et un chanteur soul qui cultive l’impression de déjà vu (avec l’accent s’il vous plait, prononcer « deyja vou »).
Non : ce titre est attirant pour beaucoup de raisons, mais surtout pour la voix du garçon.

Pour beaucoup, Sampha est d’abord la voix SBTRKT, c’est d’ailleurs lui qui porte le masque en live et sur la pochette de l’album. En collaborant sur Hold On, les deux copains signent probablement l’un des meilleurs morceaux de leurs discographies respectives.

Si le londonien fait mouche, c’est en partie grâce à son léger falsetto. Le « fausset » (après francisation) représente la capacité d’une voix masculine à aller chercher des notes très aigües, basculant ainsi de la voix de coffre à la voix de tête. Lorsqu’il est bien placé, le falsetto vient ponctuer la mélodie en lui apportant de la nuance. Il a été l’ami de grands noms tels que Freddy Mercury, les Bee Gees ou encore plus récemment Pharrell Williams.


Sampha en a quelque peu fait sa marque de fabrique et cela fonctionne à merveille. Sur Reverse Faults, les couplets sont uniquement réalisés en voix de tête. Un exercice difficile qui nécessite une grande maitrise vocale et beaucoup de travail. Comme le disais si bien Thomas Edison :  « Le génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration ».

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Sampha en pleine méditation/inspiration sur la pochette de Process, son premier album.

Situons un peu la voix de Sisay dans la musique actuelle. Aujourd’hui, il y a  de très bons chanteurs, mais beaucoup se cantonnent à l’interprétation et n’ont pas la fibre créative pour construire un univers musical à part entière.
Sampha a donc plusieurs cordes à son arc (producteur, musicien, multi-instrumentiste et chanteur), des qualités qu’on retrouve chez un autre artiste des plus talentueux de sa génération : j’ai nommé James Blake.


Les biographies des deux garçons sont relativement similaires. Tout deux londoniens, du même âge ou presque, ils manient la production avec brio et offrent des rythmes hypnotiques venant compléter leurs « soulfull vocals ». James Blake a bénéficié d’une exposition médiatique plus importante ces dernières années, peut être grâce à ses trois albums retentissants, qui sais ?  
Pour vous faire une idée de son univers si vous ne le connaissez pas déjà, voici un extrait de son bijou d’album sorti l’an dernier. Avec du recul, je me dis qu’il aurait bien mérité un article celui la…

Comment Sampha s’est-il forgé cet organe ? Lorsqu’on entend sa voix, c’est comme si on l’avait toujours porté en soi. À cet, instant il est légitime de penser que je débloque complet et que je vais vous parler de la « fréquence bien être », ou partir dans des analyses de psychologie musicale à deux balles.
Mais quand je dis cela, je souligne la dimension soul traditionnelle retrouvée dans son timbre de voix, comme si 40 ans de musique et d’artistes l’habitaient. Même s’il vient de la Grime et du Hip-Hop, Sampha écoute des vieux trucs comme Jocelyn Brown ou Rotary depuis tout petit, et ça paye.

Un directeur artistique nommé « electro-soul »

L’electro soul c’est quoi ? Un style musical qui à l’écoute en dit bien plus que son nom. À la croisée du funk, de la soul, du hip-hop et des musiques dites électroniques, l’electro soul se définit années après années par les artistes eux-mêmes. On peut également considérer un artiste comme électro-soul à partir du moment ou une voix ou des samples du genre sont utilisés dans les productions.

La panel d’artistes electro soul actuels est tout de même assez large. Il va de Jamie Lidell à James Blake en passant par Grammatik ou encore Griz.

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Sampha qui troque en live son piano pour les synthétiseurs.

D’ailleurs, les productions de Sampha font sa patte et apportent la note électro au combo voix/piano qui lui, relève plus de la soul traditionnelle. Ces productions sont bien entendu indépendantes. Le dernier album Process est sorti sur le label Young Turks (Label entre autres de John Talabot, Jamie XX et SBRKT).
Pour le produire, Sampha a partagé le gâteau avec le producteur écossais Rodaidh McDonald qui travaille avec XL recordings, le fameux label « XL » des grands indépendants que sont Radiohead, Adele, M.I.A ou encore notre rouquin préféré King Krule. 

Outre les nombreuses similitudes avec James Blake évoquées plus haut, il y a une chose qui m’a sauté aux oreilles dès les premiers morceaux de Process : la structure des compositions.

Ici, Un rapprochement peut être effectué avec SOHN, notamment sur l’approche musicale. Tout deux touchent à tout, Sampha et SOHN donnent à la soul un nouveau souffle grâce aux sonorités électroniques qu’ils incluent dans leurs compositions. 

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Apparement ils se sont déjà rencontré en after show. Pour info, SOHN, c’est le monsieur avec le magnifique chapeau à droite.

La musique de Sampha c’est souvent :

  • Pas de batterie, mais un sample/multi pad type SPSDS-X ou Yamaha DTX 12.
  • Pas de piano systématique, mais une judicieuse alternance entre sons acoustiques et nappes de synthé planantes et pop à souhait.
  • Pas de « voix » (enfin si justement) mais un travail vocal tantôt modernisé par l’autotune, qui prend un malin plaisir à revenir au plus près des racines soul sur certaines séquences.
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Le SPDS du batteur Ryan Jenkinson. Commercialisé par la marque Roland, il offre des possibilités monstrueuses lorsqu’il est intégré à un set de batterie acoustique.

Vous connaissez maintenant l’une des facettes de l’électro soul (il y en bien d’autres). Mais dans electro soul, il y a soul, la musique de Sampha en est remplie. Parle-t-il avec son âme ? Avec du coeur ? Réponse dans la partie suivante.

Une introspection cathartique

Process est certainement le remède que ce jeune homme de 28 ans a trouvé au décès de sa mère. Entre l’enfant et le jeune adulte, Sampha a perdu ceux qui l’ont mis au monde, et cela se ressent dans l’écriture. Il l’a d’ailleurs confié à Konbini.

Ce premier album me permet de documenter mes émotions. Parfois, tu oublies à quel point telle ou telle situation t’a fait souffrir, et tu répètes les mêmes erreurs. Donc c’est bien pour moi d’avoir accès à cet espèce de document que je peux consulter de temps à autres.

Sur cet album, chaque interprétation est habitée. Le chant offre à Sampha la possibilité de mettre des mots sur les mauxSi vous êtes sensible à ce genre de vibes, l’extrait qui suit pourrait vous en mettre plein les oreilles, faire s’hérisser quelques poils, voire même vous tirer la larme à l’oeil comme un bon vieux morceau de James Blunt. #jeblague

Comme si Bon Iver et James Blake étaient derrière lui pour scander le refrain. Pour l’anecdote, Spotify l’a bien compris : après écoute de la discographie de Sampha, la radio m’a redirigé vers « I Need a Forest » … de James Blake et Bon Iver (Tadaaaam) !

Composé entre son foyer familial et une île du nord-ouest norvégien, ce disque nous plonge dans l’intimité d’un homme qui a souffert. Il est doté d’une extrême sensibilité et de questionnements sur le sens même de son existence.

Dois-je me sentir coupable de vivre ma vie ? Où se situe ma responsabilité vis-à-vis de ma famille ? De moi-même ?

Certains morceaux parlent de situations qui peuvent paraître anecdotiques mais qui dans leur contexte permettent à Sampha de souffler et reprendre le contrôle sur des peurs, des angoisses que le commun des mortels a au moins partagé une fois dans sa vie.
Le morceau Plastic 100°C et sa mélodie mélancolique portée par la kora, instrument traditionnel d’Afrique de l’Ouest, est probablement l’un de mes préférés. Il traite d’un épisode difficile vécu durant une tournée avec SBTRKT, lorsque l’artiste à découvert une grosseur dans sa gorge.  Simple angine ou mal plus important ? Peu importe, (il va mieux depuis) l’important est de l’exorciser. D’autant plus quand le rendu sonore est au rendez-vous.

Et pour la route, une petite version live !

J’écoute en boucle

Malheureusement, j’ai épuisé mon quota de morceaux préférés dans cet article.
Je pense réellement que l’oeuvre de Sampha, et en particulier son album Process doivent être abordés dans leur ensemble. Un album, c’est un tout.

Et quand ce tout est réellement à la hauteur (ce qui est très rare), il faut savoir l’apprécier dans son intégralité. Vous me pensez flemmard ? Vous avez le droit ! N’empêche que je suis allé vous chercher une playlist rassemblant toute ses collaborations. Comme ça, vous n’aurez pas 1 morceau, mais 28 !
De Kanye West à Drake, en passant par son remix des XX, vous serez incollable sur cet artiste et pourrez crâner auprès de vos potes à l’apéro le weekend prochain. #labusdalcoolestdangereuxpourlasanté 

Alors, heureux ?

Il est temps de conclure

Si je devais retenir une chose de tout ce que j’ai appris sur Sampha ces derniers jours, c’est qu’outre ses qualités diverses et son talent indéniable, il semble être une belle personne. Il s’ouvre au monde tout en noblesse par une sincérité musicale et une créativité, de mon point de vue, incontestable.
Pour aller plus loin, je vous invite à regarder cette vidéo dans laquelle il explique la signification des paroles de Blood On Me, le son présent au début de l’article en guise d’introduction. Certes, c’est en anglais, mais avec les sous-titres c’est facilement compréhensible. Et puis, comme ont dit chez nous, « apprendre l’anglais rend difficilement plus con ».  À moins que ce soit la culture générale ?

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© : anotherwhiskyformisterbukowski.com/

La photo à la une est l’oeuvre de la photographe © Leonie Hampton. Vous pouvez nous rejoindre sur Facebook et Instagram, histoire de nous encourager kwa.

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