Eminem, des inspirations au féminim

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Cette semaine, nous avions envie de parler de rap US. Qui de mieux pour représenter la scène hip-hop américaine que l’inimitable Eminem ? Oui, mais vous raconter la vie de cet artiste n’aurait pas vraiment d’intérêt, étant donné qu’un livre (The Way I Am) et un film (8 Miles) lui sont dédiés.
Prenons donc le temps de nous intéresser à Eminem d’un point de vue différent. Parlons un peu de Marshall Mathers et de Slim Shady, et essayons de comprendre d’où vient l’inspiration de celui qui incarne le rap.
Ne vous méprenez pas, Eminem est le narrateur d’une histoire bien complexe, et Deborah, Kim et Hailie en sont les protagonistes malgré elles.

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C’est de moi qu’on va parler là ?

Les 3 facettes du rappeur aux 3 inspirations majeures

Eminem, dans la lumière

On ne le présente plus. À moins de vivre comme un trappeur au fin fond de l’Alaska, vous savez qui il est. Considéré comme le plus grand rappeur de tous les temps, Eminem n’a plus besoin d’être introduit.
8 albums, 15 Grammy Awards, 1 Oscar (oui oui), un succès commercial planétaire et un flow reconnaissable aux premiers balbutiements : Eminem est assis sur le trône du rap game tel un roi incontesté et incontestable.

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On va dire que le canapé est le trône.
via Pinterest

Cette reconnaissance, il l’a acquise notamment par son talent de lyriciste. Ses textes, bien que parfois quelques peu violents (un chouïa), ont participé à son ascension. Ils sont d’ailleurs salués par des personnalités bien éloignées du rap, comme Seamus Heaney, prix nobel de littérature.
Une aisance pour les rimes qui remonte à son arrière grand mère, elle qui chantait dans les champs de coton pour adoucir la rudesse de son travail.

Son art est une science, et son processus d’écriture est semblable à une forme de codage : plusieurs colonnes, la première dédiée aux textes, la seconde pour les mots en attente de rimes.
Eminem écrit par passion autant que par nécessité, la musique étant le pilier qui a permis à un frêle gamin solitaire de se construire au sein d’une famille aux fondations fragiles et instables.

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© acidcow

Marshall, en coulisse

Avant de devenir cette légende, Marshall Mathers Jr. est un gamin né de l’innocence d’un couple d’adolescent du Kansas. Sa mère, Deborah Mathers, n’a que 17 ans lorsqu’elle accouche de son enfant et son père, Marshall Mathers, abandonne sa famille au bout de 2 ans pour se barrer en Californie.

Oui oui, c’est bien lui.
© ranker

Difficile d’avoir confiance en ce monde lorsqu’on sait avoir été abandonné dès son plus jeune âge. Marshall est un solitaire qui ne savait pas comment s’exprimer sinon balancer sa tête d’avant en arrière au rythme de la musique qu’il entendait.
Le rap, lui et son oncle (dont il était très proche) le découvrent par l’intermédiaire de Ice T et de son morceau Reckless.

Pas franchement emballé par l’avenir que pouvait lui offrir le système scolaire, Marshall choisit le rap comme exutoire. De ses premières battles dans le sous-sol du St Andrew’s dans le quartier de 8 Miles à la sortie de sa première production Infinite, Marshall poursuit sa quête de reconnaissance dans un milieu où son teint pâle le discrédite.

Il n’en reste pas moins qu’un jeune adulte fragile, qui tente de se suicider après avoir constaté le flop commercial de son album, vu son oncle mourir, et subit l’accumulation des problèmes familiaux.

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À New York, en 1999, avec son pote Royce Da 5’9.
© The BackPackerz

Slim Shady, dans l’ombre

De ces instants ombrageux est né Slim Shady, un personnage méprisant au ton sarcastique qui lui a permis de se différencier d’un point de vue artistique. Un alter ego provocateur qui exploite l’aisance textuelle de Marshall pour exprimer sans filtre et sans tabou un message souvent hautement engagé.
Slim Shady n’en reste pas moins une création aux inspirations aussi sombres et violentes que les épreuves qu’il a endurées.

C’est comme s’il voyait le monde dans une galerie des glaces, et nourrissait sa visite de ces images distordues.

Cette caricature de l’artiste partage les mêmes origines que ses autres facettes. Les souvenirs et le quotidien familial de Marshall nourrit les créations d’Eminem et délie la langue de Slim Shady.
Cette inspiration commune porte 3 visages : celui de sa mère Deborah, celui de sa femme Kim (double ex femme aujourd’hui), et celui de sa fille Hailie.

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Kim est l’un de ces visages.
© dailymail

Chacune est le sujet de nombreux textes et compositions de l’artiste. La médiatisation de certains de ces morceaux ont forgé le personnage public, l’anonymat des autres a permis de préserver toute la noblesse des écrits.

L’influence des 3 figures féminines sur l’œuvre d’Eminem est aussi différente que l’impact de chacune dans sa vie. Si Hailie apporte une touche de tendresse non négligeable dans les productions du rappeur, autant vous dire que sa mère et Kim prennent cher comme l’histoire de la musique a rarement vu.
Retour en musique sur les plus beaux hommages (ou les pires) d’Eminem à la gente féminine.

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Tout en subtilité.
© blkdmnds

Deborah Mathers, une mère pas du tout respectée (mais alors pas du tout du tout)

La mère de Marshall, Deborah Mathers, est probablement la femme ayant le plus morflé dans l’industrie musicale.
Eminem lui reproche la grande majorité de ses tourments, mais n’a d’autre solution que de lui attribuer 2 uniques mérites : celui de l’avoir mis au monde, et celui de l’avoir rendu célèbre.

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La madame en haut à droite, au cas où vous n’aviez pas deviné
via Pinterest

Note de Julien : A gauche non ?

En 1999, le grand public découvre Eminem grâce au titre My Name Is. Porté par Dr. Dre, ce titre est un bon échantillon du savoir-faire de l’artiste : on retrouve de petites atrocités, quelques lignes d’une homophobie douteuse, et des onomatopées pour ajouter au ridicule d’un clip truffé de références.

Ce morceau est aussi l’occasion pour l’artiste de glisser pour la première fois quelques punchlines cinglantes à sa mère.
Deborah lui intente même un procès après une attaque directe concernant son addiction à différentes drogues, et lui réclame quelques 10 millions de dollars de dommages et intérêts. Bonne ambiance.

99 percent of my life I was lied to / I just found out my mom does more dope than I do.

L’album The Eminem Show, sorti 3 ans plus tard, contient probablement l’attaque la plus violente d’Eminem envers sa mère. Le morceau Cleanin’ Out My Closet n’épargne d’ailleurs pas grand monde, son père et Kim étant au passage éclaboussés par quelques rimes bien senties.
Le 3e couplet voit cependant mourir le peu d’amour et de respect qu’il pouvait éventuellement rester entre la mère et son fils.

Le titre du morceau illustre parfaitement le contenu de son texte : Eminem vide son placard, et est bien décidé à exprimer ce qu’il a sur le cœur.
Si aucune des atrocités n’est oubliée, ce paragraphe est l’occasion pour lui de rappeler à Deborah que le temps passe et qu’elle ne verra pas sa petite fille Hailie grandir.

Curieux qu’aucun procès n’ait suivi la sortie de ce morceau. L’artiste répond d’ailleurs à la précédente accusation de sa mère par un « I hope you fuckin’ burn in hell for this shit » qui a le mérite d’être relativement explicite.

Nous pourrions nous attarder sur d’autres lynchages publics, comme dans le morceau My Mom.
Mais l’histoire a récemment pris un tournant particulièrement intéressant. 14 années après sa première punchline, Eminem dédie la chanson Headlights, qui clôture le dernier album The Marshall Mathers LP 2, en hommage à sa mère.

Les années ont visiblement leur effet sur l’artiste, qui semble regarder son passé avec philosophie et apaisement.
Ce sont bien des excuses que rédige Eminem, quelques rimes pour dire à sa mère qu’aucune de ces précédentes chansons ne pourra couper le lien familial qui les unit. Une précision qui n’est pas de trop, parce qu’entre nous, c’était pas gagné.

I’ll always love you from afar, ‘cause you’re my mom.

Kim Scott, une autre définition de l’amour (un peu violente quand même)

Pour présenter Kim en quelques mots, nous pourrions dire qu’elle est la réincarnation de la mère d’Eminem, l’instabilité psychologique en plus.
Deborah
hébergeait de temps en temps des jeunes en difficulté pour le compte de l’Etat du Michigan. Kim était l’une d’entre elles, et fait ainsi la connaissance du rappeur lorsqu’ils étaient encore adolescents.

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Il a l’air ravi.
© dailymail

Le 14 juin 1999, Kim et Eminem se marient dans le sillage du succès de The Slim Shady LP. Pour fêter l’événement, le titre 97’ Bonnie & Clyde sort la même année. C’est mignon me direz-vous, le duo rebelle des années 30 en guise de métaphore d’un amour contre vents et marées.
Raté, car Bonnie représente Hailie, et le morceau raconte comment Eminem se débarrasse du corps de Kim dans un lac. Vous l’aurez compris, ce mariage ressemble à un idylle d’un nouveau genre.

Si vous êtes amateur d’humour noir, je vous invite à bien tendre l’oreille !

Leur vie de couple est marquée par les disputes et la violence. Ils se séparent en 2000 après une tentative de suicide de Kim, initiée par la diffusion d’un morceau qui porte son nom.
Ce titre est en fait le préquel de 97’ Bonnie & Clyde, dans lequel Eminem retranscrit une dispute rageuse et délirante qui précède le pseudo-meurtre de Kim. Une chanson qui lui vaudra à nouveau un procès pour diffamation.

En 2010, l’album Recovery marque le retour de l’artiste sur le devant de la scène. J’aurais aimé vous dire qu’il contient aussi un hommage à son ex-femme, mais c’est tout le contraire. Eminem a gagné en maturité, mais il nourrit toujours autant de haine à l’égard de celle qui a partagé sa vie.
Le morceau Love The Way You Lie, et sa suite Love The Way You Lie Part 2, fait bien évidemment référence à sa relation tumultueuse avec son premier amour, mais ce n’est pas le titre le plus évocateur de ce 7e opus.

Space Bound est présenté comme le remake du morceau Kim, 10 ans après sa sortie. On retrouve le rappeur perdant son sang froid face à la découverte des infidélités de sa petite amie.
On découvre cependant une différence notable : après avoir commis l’irréparable, Eminem met fin à ses jours dans une scène polémique. Un changement de perspective qui compromet la suite telle qu’elle est racontée dans 97’ Bonnie & Clyde, et qui s’ouvre à d’autres interprétations.

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Aujourd’hui, le couple n’a plus aucun lien, si ce n’est Hailie, leur unique fille biologique. Ainsi, Kim fera toujours partie de la vie de l’artiste, et cet enfant cristallise le bonheur éphémère de cette histoire d’amour pour le moins capricieuse.

Hailie Mathers, sa plus grande réussite

Hailie est littéralement un cadeau de la vie pour Marshall. Née le 25 décembre 1995, elle marque la renaissance de l’artiste, qui s’impose un nouvel objectif : réussir là où sa famille, et notamment son père et son grand-père, a échoué.

La naissance de Hailie est une bénédiction pour Eminem. Il obtient un job temporaire dans un restaurant pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, tout en perfectionnant son art.

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via Tumblr

Il trouve également dans sa fille sa plus grande source d’inspiration. De nombreux morceaux lui font référence, mais certains se détachent par leur sincérité et leur authenticité.
C’est le cas de Hailie’s Song, un titre qui sample le célèbre While My Guitar Gently Weeps des Beatles, et adoubé par George Harrison lui-même juste avant sa mort.

À une époque où Eminem semble supporter le fardeau d’Atlas, Hailie donne un sens à la vie de l’artiste.
Après une déclaration chantée sur les 2 premiers couplets, Eminem reprend le rap dans un 3e paragraphe riche en allitérations, comme pour signifier à son ex-femme qu’il compte bien offrir à sa fille le modèle paternel qui lui est dû. Eminem montre ainsi son visage de père responsable, et nous offre là l’un des textes forts de sa carrière musicale.

And now it don’t feel like the world’s on my shoulders / Everyone’s leaning on me / ‘Cause my baby knows that her daddy’s a soldier / Nothing can take her from me.

Mais l’éducation de Hailie et son travail d’artiste semblent être deux nécessités divergentes. Malgré cela, Eminem obtient la garde partagée après l’incarcération de Kim pour détention de cocaïne et non-respect des injonctions du juge.

Daddy’s always on the move / Momma’s always on the news.

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Kim lors de son procès.
© zimbio

Le rappeur choisit donc d’écrire ce qu’il ne peut expliquer à Hailie et à sa sœur adoptive Lainie.
Le morceau Mockingbird conte avec lucidité les problèmes que connaît la famille Mathers et tente de justifier l’absence d’une figure maternelle. Les disputes avec Kim, les cambriolages, les déménagements et un fameux Noël sans cadeaux forment le socle d’un récit résolument émotionnel et attendrissant.

L’année suivant la sortie de ce titre, Hailie est à nouveau l’inspiration majeure de l’une des plus belles compositions du rappeur.
À l’aube d’un entracte de plusieurs années dans sa carrière musicale, Eminem prend du recul sur son rôle de père et exprime quelques regrets dans un album au titre évocateur : Curtain Call.

When I’m Gone est un testament, celui d’un père qui souhaite voir un sourire sur le visage de sa fille, et qui s’en remet à l’intemporalité de la musique pour l’accompagner lorsqu’il ne sera plus là pour le faire.

Ce morceau possède également un message fort de sens qui se distingue de la thématique même de la chanson. Les dernières rimes semblent marquer la fin de Slim Shady, un dénouement mis en image dans la scène du miroir dans le clip.

On retrouve Slim Shady – blond – faisant face à Marshall – brun – avant que ce dernier ne brise la glace. Sur un flow plus brut et mature, nous découvrons un Eminem semblable à celui que l’on retrouve dans des morceaux tels que Beautiful dans l’album Relapse ou Not Afraid dans Recovery, deux productions teintées d’un réalisme inhabituel sorties après la pause musicale du rappeur.
When I’m Gone marque ainsi les prémices d’une émancipation de l’artiste vis à vis de celui qui l’a poussé vers la lumière : The Slim Shady.

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© generations

Il est temps de conclure

Qu’aurait été l’œuvre d’Eminem sans les 3 femmes de sa vie ? La question est légitime, tant Deborah, Kim et Hailie sont encore des inspirations fortes pour l’artiste.
Et même en omettant les morceaux présentés dans cet article, la quasi-totalité de l’œuvre du rappeur contient des références à sa vie personnelle, dont ces protagonistes font indéniablement partie.

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© shareonion

Ainsi, Deborah Mathers, la mère d’Eminem, est à elle seule le réservoir à punchlines qui lui a permis d’affirmer son style et d’être reconnu sur la scène musicale. Kim a alimenté une part d’ombre, parfois à l’excès, pour forger le mythe du rappeur.
Et Hailie, douce exception d’une vie tourmentée, peut être considérée comme la muse d’un lyriciste ayant participé à la reconnaissance des textes musicaux dans l’univers littéraire (et Bob Dylan peut lui dire merci).

Finalement, tout cela n’est qu’une histoire inachevée déjà riche en péripéties, dans laquelle on se demande qui est le narrateur et qui est le personnage principal.
Laissons donc à Eminem le privilège de poursuivre son récit.

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via Pinterest

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