Disiz, la Peste devenue patriarche

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Ah, le rap français. Il n’est pas facile pour moi d’aborder ce sujet, car je n’aime pas le rap français. D’une manière générale, je le trouve vide, stagnant, impersonnel et caricatural. Je suis quelqu’un qui peut être assez borné, et ce n’est pas les nouvelles têtes comme Gradur ou SCH qui me feront changer d’avis. Mais, dans mon entêtement, en tant qu’amateur de rap il y a un artiste qui fait office d’exception.

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C’est d’moi qu’tu parles ?

Le commencement

Je vais certainement vous apprendre quelque chose, mais en vérité, Disiz n’est pas son vrai nom. Si j’vous jure ! En vérité, ce monsieur s’appelle Sérigne M’Baye Gueye, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas Danois. C’est un homme de 38 ans, français, né à Amiens (dans le noooooooooord) d’un papa Sénégalais et d’une maman française ou belge, je ne sais plus trop (une maman du nooooooooooord quoi).

Des origines complexes qui forment un premier pilier pour l’enfant qui a grandi à Evry. Le regard des autres n’étant pas toujours facile, il a choisit de comprendre d’où il venait pour mieux l’assumer. Une richesse culturelle qui fait la force de l’homme qu’il est devenu. Mais ça, il l’explique mieux que moi.

Un homme accompli qui a un temps craint de reproduire les erreurs de ses parents. Devenu papa jeune, il cherchait simplement à se construire un second pilier, familial, qui lui a manqué dans son enfance. Aujourd’hui, sa femme et ses quatre enfants sont sa fierté, son « bling-bling » comme il aime le présenter.

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Le gang. © Inter-Peura

Mais pour devenir cet homme, il a fallu se construire, et remplacer un père absent. La religion musulmane lui a apporté cette stabilité, cette éducation complémentaire. Il défend aujourd’hui celle qui lui a permis de ne pas devenir délinquant, aussi sensible que le sujet soit. Sa foi est bien plus qu’une inspiration, c’est son troisième pilier.

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Photo empruntée sur © Booska P

Et là, je vois arriver tous les ingénieurs, et Julien au premier rang, pour me dire : « Eh Hans, il y a trois appuis sur le sol, il est stable Disiz ! ». Trop LOL. J’ai deux arguments à leur opposer : premièrement, j’étais nul (vraiment nul) en physique, et secondement, Disiz n’est pas comme les autres. Et BIM, grosse argumentation.

Donc, tout naturellement, il manquait encore un pilier à ce garçon : la musique. Une évidence pour le banlieusard initié à la littérature par une bibliothécaire et amateur de rap français.

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© Maxime Hillairaud

Note de Julien : Justement, tu crois pas si bien dire, car en ingénierie on favorise souvent ce qu’on appelle l’hyperstatisme à l’isostatisme. En d’autres termes, on préfère la chaise à quatre pieds car elle apporte plus de stabilité et de force que la chaise à trois pieds !

Le succès vint rapidement réveiller Disiz, qui sort son premier album en 2000, intitulé Le Poisson Rouge. Un opus doté d’un tube, J’pète les plombs, mais également d’un nom évocateur d’un malaise naissant.

La suite est moins féerique, les albums suivant ne sont pas noyés sous les éloges, malgré un public fidèle. Une explication se trouve dans ce malaise grandissant, dû à un rap game dans lequel il ne se reconnait pas, et par une industrie musicale qui souhaite coûte que coûte faire perdurer cette image de rappeur comiqueEn 2009, après 4 albums et un petit featuring avec Yannick Noah (la base tmtc), « Disiz the End ».

Je suis méééééééétis. Enfin, Disiz the End pour le rap hein, on se calme. À défaut de se sentir bien dans son univers musical de prédilection, La Peste choisit le rock sous le nom de Peter Punk. Le rock, oui, mais pas que. Disiz a gagné en maturité, et il est temps pour lui de changer d’air. Après le cinéma, c’est la littérature qui occupe ses journées. Il sort un premier livre en 2009, Les derniers de la rue Ponty, qu’il juge trop scolaire. Il n’abdique pas, persévère, et la littérature va finalement le ramener à son premier amour.

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Photo empruntée à © Le Monde

En 2012, Disiz le Retour (pitoyable de facilité). Il sort son second roman, René (un peu critiqué, il faut le dire), et signe un nouvel album dans la foulée. C’est le début de la trilogie Lucide, le retour de pèlerinage d’un banlieusard. Plus mature, moins naïf, mais toujours aussi inspiré, cette année est celle de la renaissance de Disiz.

La musique de Disiz

Pour moi, il y a deux Disiz. Il y a celui des débuts, le rappeur comique qui découvre le rap game avec un certain dégoût. Il s’oppose au Disiz d’aujourd’hui, artiste dans l’âme mais père avant tout. C’est ce dernier qui m’intéresse le plus, et c’est de sa musique dont j’aimerais parler dans cette partie. La genèse de ce second Disiz est donc marquée par un retour. Un retour au rap, son amour de toujours, après un entracte Peter Punk.

Loin d’être un artiste infidèle, ces quelques années lui ont permis de prendre du recul sur l’industrie musicale, mais également d’explorer de nouveaux horizons en terme de musicalité. Désormais, le banlieusard ose chanter, diversifie ses instru, et aborde des thématiques plus matures. Non pas qu’il ne le faisait pas avant, mais il se construit à présent son rap, un rap durable pour un bon bout de temps. Et putain, c’est vraiment trop cool.

De ses petits papiers sort une trilogie, Lucide, fidèle à ses valeurs (ouais je sais, je l’ai déjà dit !). Avant la sortie du premier opus, éponyme, l’artiste a fait patienter ses fans en postant chaque vendredi une production, une sorte de web-série appelée Vendredi C Sizdi. Et c’était pas du foutage de gueule, loin de là !

Allez, on est entre nous, on peut se l’avouer. On s’est tous reconnu dans cette chanson, on a tous fait ça ! Pas d’chichi au Melting Potes, nous on ne s’en lasse pas !

On retrouve également un morceau tiré de ses années pop-rock. C’est un autre style, mais c’est probablement l’un de mes titres préférés.

Un teasing bien sympathique donc (pas comme le mien cette semaine, quasi-inexistant), pour un album Lucide très attendu. Un 8 pistes de qualité, dans lequel on retrouve notamment des titres comme Toussa Toussa ou Mon Amour, qui portent la marque de fabrique du rappeur. Pas de doutes, Disiz a réussi son retour.

À noter que, si on écoute bien l’instru du refrain, on retrouve des sonorités caractéristiques du groupe FAUVE. Et ça fait plézir.

À peine le temps de savourer Lucide que la suite Extra-Lucide est déjà prête. Un album complet, volumineux (20 titres), et tout aussi réussi que son prélude. On y retrouve un Disiz chantant et des compositions riches, à l’image du titre Les Moyens du Bord ou du rayonnant Best Day.

Pour le coup, les fans ont eu tout le temps nécessaire pour écouter et réécouter cet album. Le troisième volet de cette trilogie, Transe-Lucide (cliquez-ici pour le retrouver), n’est sorti que deux ans plus tard. Ce fût deux années de travail acharné pour l’artiste, qui voulait sortir le meilleur album possible. Non, je déconne, il est allé au théâtre. Enfin, il a joué au théâtre quoi.

Mais je peux vous assurer que ça valait vraiment le coup. Transe-Lucide est non seulement mon préféré dans la discographie de Disiz, mais il est aussi le meilleur album de rap français que j’ai eu le plaisir d’écouter.

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La fleur de Lotus de Disiz, et de l’ © Obs

Cet album est composé en suivant la croissance de la fameuse fleur de Lotus, symbole de l’évolution de l’homme et de la pureté du corps. Une première partie, Terre, symbole de l’enfance et de la naissance de la fleur dans la vase. On y découvre des titres comme Spirales ou Miskine, ce dernier faisant écho à l’époque d’Evry.

Une seconde partie, Eau, représente l’adolescence et la croissance de la fleur dans les eaux troubles de l’étang. C’est l’occasion de découvrir Kadija, un bel hommage à sa femme, et enfin un peu de tendresse dans ce monde de brute. Bordel.

Enfin, une dernière partie intitulée Ciel fait référence à l’âge adulte et à l’épanouissement du Lotus hors de l’eau. Disiz nous partage des morceaux plus matures mais plein d’espoir, comme LUV ou Happy End. Histoire de bien terminer cet album, qui résonne comme le chef d’oeuvre de sa carrière.

Quelques années plus tard, en juin 2015, Disiz sort son dernier album : Rap Machine. Et là, je dois faire une confession. Je n’aime pas, du moins, j’aime moins. #poète

Il y a quelques pépites, il faut être honnête, mais j’ai tellement été épaté par ces trois derniers albums que je me suis retrouvé comme perdu dans tant de sobriété.

Alors bien sûr, cet album plaira aux amateurs de rap français, mais il manque de complexité dans son instru pour qu’il se fasse une place dans mon iPod. Ouais je sais, c’est sélectif chez mwa.

On remarquera quand même que Disiz reste encore une fois fidèle à certaines valeurs, qu’il défend depuis ses débuts. Rien que pour ça, chapô poto !

L’instant « j’ouvre mon petit coeur »

Je vais m’efforcer de ne pas jouer le vieux ronchon borné prêt à défendre coûte que coûte ses positions absurdes. Je ne suis pas fan du dernier album, c’est vrai, mais j’ai aussi dit qu’il comportait quelques pépites. Parce que parfois il suffit de peu pour me faire changer d’avis, une de ces pépites est mon coup de coeur.

Comme un paradoxe, Comme un Rappeur est le second morceau de l’album Rap Machine, et perso, j’adhère :

Ah je pourrais en parler longtemps, mais j’ai la flemme. Je trouve vraiment peu de choses à redire sur ce titre, si ce n’est que j’aurais aimé qu’il dure plus longtemps.

Une instru inspirée du rap cloud (ou cloud rap je sais jamais) vient apporter cette touche de modernité qu’il manquait pour moi à cet album. Un message simple et lisible vient se greffer dessus, pas besoin d’en rajouter. Le clip réalisé à La Réunion rappelle un décor dépaysant propice aux rêves de chacun, et à un peu de chill sur la plage aussi (qu’on se le dise).

Bref, une oeuvre complète qui fait mon bonheur à chaque écoute, et que je voulais mettre en avant aujourd’hui, parce que finalement, je vous aimes bien..!

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© Purebreak

J’ai pris beaucoup de plaisir à vous parler de Disiz aujourd’hui. Au delà de l’artiste, c’est un homme plein de valeurs, un artiste plein de talent, et un père plein d’amour que j’ai découvert à travers ses compositions.

Il est l’exception dans le paysage monotone du rap français, un nom que les vrais amateurs de hip-hop n’oublieront pas. Il cultive la différence avec un phrasé toujours plus sincère, un juste milieu entre punchline et pudeur qui lui permet de développer un esprit critique sur sa propre profession.

Hors de question de vendre son âme, Disiz n’est pas le rappeur comique que ses débuts laissaient paraître. La Peste est devenu un homme, un patriarche, sans pour autant renier l’artiste.

Pfou, je m’arrête là, j’ai mal à la tête, SAYONARA !

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Pour info, la photo d’en-tête est tirée du site © Le Télégramme !

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