Le paradoxe PNL

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C’est un article un peu particulier que je m’apprête à écrire aujourd’hui. Le monde du rap a découvert le 16 septembre le 3ème album du groupe PNL, « Dans La Légende » (il suffit de cliquer ici pour retrouver l’album). Celui de la confirmation pour les deux frangins après le succès de l’album « Le Monde Chico », certifié disque d’or (on s’en bat les couilles, mais ça fait sérieux). Mais au delà d’agiter la scène musicale française, PNL fait cogiter mon petit cerveau. Dans certains aspects, force est de reconnaitre qu’ils sont forts, très forts. Mais il y a aussi des choses qui me dérangent vraiment. Installez vous confortablement, je vous explique tout ça.

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C’est l’heure du conseil de classe. © Fader

Le commencement

Je vous le murmurais dans l’intro, PNL c’est une histoire de famille. PNL, c’est « Peace N Lovés », et derrière ce mélange d’anglais et d’argot se cache un projet initié par deux frères, Ademo et N.O.S, qui ont grandi dans une cité de Corbeil-Essonnes.

Grosso merdo, c’est tout ce qu’on sait d’eux. Ah si, ils sont d’origine Algérienne, et ont mis de côté leurs carrières solo respectives de rappeurs pour se concentrer sur ce projet. Une fiche artiste sur le site de leur label ? Pff, ça serait trop facile. Ils n’ont pas de label, c’est tout fait maison.

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Une histoire de famille je vous dit. © Capture d’écran, « DA »

Mais pourquoi ne sait-on rien d’autre ? Parce que PNL cultive le secret. Pas de sorties médiatiques, pas de promotion physique de leurs albums, et ils font bien sûr attention de refuser la moindre proposition d’interview de la part des médias. Peut-être qu’ils diront oui pour le Melting Potes, on essaiera, on sait jamais !

Il existe cependant un moyen d’en apprendre plus sur eux. C’est tout con, mais pas toujours évident : montre moi ton art, je te dirais qui tu es. On peut effectivement remarquer une certaine redondance dans les thématiques abordées dans les morceaux, qui nous informe sur l’environnement dans lequel ils ont grandi. La cité, la bicrave, mais aussi l’absence de la figure maternelle se font sentir dans les textes.

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PNL aux multiples facettes.

En tendant l’oreille un peu plus loin, on retrouve également quelques rimes qui sonnent comme des éléments de réponse. Le Roi Lion, Le Livre de la Jungle, Dragon Ball Z… Autant de références relatives à la pop-culture qui témoignent d’une enfance pas si lointaine. Ce rap, leur rap, a été forgé par leur éducation, leur histoire, et le décor dans lequel elle s’est déroulée.

Bref, on se retrouve avec ce que la plupart annoncent comme un phénomène, sans rien savoir d’eux. C’est comme si Nabilla avait percée au 19e siècle, avant que toute onde radio ne soit émise par une quelconque création de l’homme. Ces gars là maîtrisent l’art du silence comme personne, et en ont fait leur marque de fabrique.

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« On est pas comme eux. » © Capture d’écran, « La Vie est Belle »

Et oui, puisque tout reste à dire sur PNL, les médias s’excitent tous sur la moindre information qui aurait éventuellement fuité. Ils alimentent ainsi la curiosité de chacun et participent à l’engouement médiatique autour du duo, qui sans rien faire, continue à se faire un nom.

Mais au delà de tout ce tapage, Ademo et N.O.S doivent leur succès à leur musique, si différente de ce que la scène du rap français a connu jusqu’à aujourd’hui. Leurs influences, leurs productions, leurs textes ou leurs instru, font d’eux un groupe à part.

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© Capture d’écran, « La Vie est Belle »

La musique de PNL

La musique de PNL s’inspire du mouvement emo thug américain, illustré par des artistes comme Young Thug, Chief Keef ou Lil’ Durk. Le fameux QLF – Que La Famille – est d’ailleurs une bonne référence au OTF – Only The Family – de ce dernier.

On est loin du rap subtil et poétique de Disiz, c’est clair. Ici, on est plus dans l’ego trip auto-tuné agrémenté d’un zeste de vocodeur. On pourrait donc se dire que ce n’est pas de la vraie musique, bla bla bla, mais il y a une nuance non-négligeable. L’omniprésence de l’auto-tune, et la maitrise qu’ils en ont, font de lui un élément central, créateur de mélodies et de notes tenues. Il passe donc du rang d’accessoire à celui d’instrument.

Ce qui est intéressant, c’est que l’auto-tune permet également de rendre leurs voix complémentaires. Celle d’Ademo est moins retouchée, et paraît donc plus dure que celle de N.O.S, qui semble plus volatile. Personnellement, ça me rappelle leurs liens fraternel, Ademo étant le plus grand de la fratrie et ayant de ce fait le devoir de protéger le plus jeune, qui peut se permettre de rêver encore un peu.

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C’est beau, la fraternité ! © Capture d’écran, « La Vie est Belle »

Le duo se complète donc, et sait se mettre en scène. Si je devais noter quelque chose qui m’a vraiment frappé lorsque je me suis penché sur leur travail, c’est la qualité des clips. Une réalisation de haut niveau qui ajoute à la crédibilité du groupe.

Le clip de « Le Monde Ou Rien » en est une bonne illustration. Dans le choix du décor tout d’abord, une partie du clip ayant été filmée dans la citée de La Scampia à Naples, haut lieu de la mafia napolitaine et décor de Gomorra. Mais également dans la réalisation, où les travellings maitrisés nous font littéralement visiter les lieux. L’esprit de clan et le quotidien d’une économie parallèle en forme de cercle vicieux s’y fait fortement ressentir, le message est passé.

Pour ceux qui se posent la question : il dit « Ouais » 40 fois exactement dans le refrain. Oui, j’ai compté.

Un autre atout de PNL réside dans leurs instrus. Alors qu’on juge les rappeurs français sur leurs flows et leur talents de lyricistes, PNL se distingue par des productions qui se suffisent à elles-mêmes. Cela démontre encore une fois un certain niveau, quant on sait qu’ils ont débuté sur des beats copiés ou auto-produits que l’on peut trouver sur YouTube.

C’est d’ailleurs ce qu’il leur a valu un rappel à l’ordre pour le morceau « Tchiki Tchiki ». Le clip a été supprimé de YouTube à cause du non-respect des droits d’auteur en vigueur sur la chanson. Au moment où je vous écris, on ne peut trouver ni la vidéo, ni la version audio sur Internet.
Si vous avez le plaisir de l’écouter, vous remarquerez que ce morceau est aussi une bonne illustration de ce que je disais à propos de l’utilisation de l’auto-tune. La note prolongée de N.O.S créé une sorte de sur-mélodie, qui vient compléter l’instru piano si controversée.
Mais pour ceux qui auront la flemme de le faire, je vous propose de découvrir la composition de Ryuichi Sakamoto, qui leur a servi de sample.

On pourra dire que c’est une fausse note dans leur travail (je sais, c’est facile), et cela ne remet pas en cause leur capacité à mettre en valeur les productions qu’ils créent ou réutilisent.

Mais est-ce qu’ils ne reposeraient pas trop sur leurs mélodies justement, aussi réussies soient-elles ?
Je l’ai introduit dans la partie précédente, les textes du duo sont riches en émotions et en référence à une pop-culture qui nous parle à tous. Et ce n’est pas tout, l’analyse de leurs textes révèle une évidente aisance avec l’écriture.
Et vas-y que j’t’envoie des antanaclases et des métonymies par ci, des antithèses et des allitérations par là ! T’en a pas assez ? Voilà des métaphores et des asyndètes, et quelques paronomases et oxymores ! Bref, les figures de style ne manquent pas, et les emprunts à la littérature non plus.

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« Voilà, je vais caser quelques figures de style pour changer. Ça rend bien les figures de style. »

Dans un style Dope Boy Blues encore rare en France, PNL utilise de manière récurrente les thématiques autour de la drogue et du deal pour parler de leur mal-être, et par la même occasion, d’exprimer leurs regrets.

Mais c’est là que j’ai un problème. Il va falloir m’expliquer pourquoi, bordel de merde, pourquoi ils viennent me gâcher tout ça avec des putains de pseudo-punchlines sur-utilisées et des expressions bouche-trous.

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PAS CONTENT !

Je vais prendre un exemple très concret pour exprimer mon propos. Le clip du morceau « Oh lala » dure 4 minutes et 19 secondes, mais je n’ai besoin que de 40 secondes pour trouver tous les arguments nécessaires afin de légitimer mon problème.

La vidéo s’ouvre sur quelques plans larges d’un paysage Islandais. Un magnifique décor donc, auquel s’ajoute une mélodie qui nous fait progressivement entrer dans leur univers, et attise notre curiosité. À la 33ème seconde, Ademo lance son couplet avec « J’suis dans un merdier, dans un cul de sac ». Jusque là, tout va bien ; il va certainement nous parler du cercle infernal initié par la drogue, et exprimer quelques regrets matures. J’attends donc un peu d’émotion, mais je vous laisse découvrir la suite.

Et voilà. Ils viennent de gâcher tous les espoirs placés dans ce morceau avec un putain de « Ah ouais ta chatte, toi ferme ta gueule, toi ferme ta gueule » placé ici par je ne sais quel phénomène.

C’est quoi le but ? C’est une expression de liaison entre deux paragraphes, ou un auteur paraphrasé ? Rien à faire, 5 secondes ont donc suffit à me faire décrocher du clip, malgré tout le talent de la production.

Et puis, en y réfléchissant, c’est quoi ce titre ? Peut-être qu’il y avait du retard dans les délais, je sais pas moi, mais il faut trouver une super excuse pour justifier ce (gros) manque d’inspiration. Parce que m’expliquer que ce titre « revêt un sens aigu des capacités du langage humain, impuissant face à certains sentiments » et que « c’est l’évocation de l’indicible » (j’ai vraiment lu ça dans des articles, juré), ça fonctionne pas. Désolé, mais « Oh lala » est une onomatopée, c’est tout. On l’utilise quand on veut exprimer un sentiment d’étonnement, au pire de fatalité, mais pas pour expliquer l’inexplicable.

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« T’as grave déconné mec. » © Clique

Et ce qui devait arriver, arriva. À force de jouer avec les textes, parfois de manière incompréhensible, on se fait caricaturer. Brain Magazine a visiblement pris beaucoup de plaisir à s’amuser avec ces fameuses punchlines un peu foireuses. Simplement en paraphrasant le groupe, les auteurs de cet article ont réussi à conter l’histoire d’un hétéro qui se serait « par mégarde » égaré dans les backrooms d’un fameux club gay Berlinois… Je ne sais pas si c’était exactement l’image que le duo souhaitait renvoyer. Petit moment de détente en cliquant ici !

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O U P S. © Capture d’écran, « Oh lala »

J’arrive donc à un point où je ne me retrouve plus dans leur musique. J’exprime ça à la première personne du singulier, car ça n’engage bien sûr que moi. Mais lorsque quelque chose me dérange à ce point, comme leurs lyrics, j’attends beaucoup du reste de la production.
C’est à ce moment que le clip de « J’suis QLF » est dévoilé. À un texte sans saveur vient s’ajouter une instru loin du niveau des précédents morceaux et un clip caricatural des maux du rap français. Encore une fois, ce n’est que mon humble avis. Mais ma curiosité pour le groupe s’est éteinte.

J’ai donc laissé l’écriture de cet article de côté, jusqu’à la sortie de l’album « Dans la Légende ». Nous sommes donc le 16 septembre 2016 au moment où je vous écris ces lignes, et j’ai trouvé une issue heureuse à ce papier.

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« Je suis content pour toi, kid. »

Au delà des morceaux présentés en avance par le groupe dans un objectif promotionnel, cet opus est une oeuvre remarquable.
Alors bien sûr, tout n’est pas parfait. Le titre « J’suis QLF », dont je vous ai parlé, fait franchement tâche au milieu de cet album, et les morceaux « Luz de Luna » et « Bené » s’inspirent d’une ambiance latino, ce qui est plutôt surprenant.

Mais en plus d’une homogénéité dans les textes qui fait du bien, PNL affirme une empreinte cloud rap encore rare sur la scène française. Le duo se place ainsi comme les principaux protagonistes de ce genre musical planant, et apportent par la même occasion un peu de modernité.
C’est aussi de cet album assumé et très professionnel que j’ai tiré le sujet de l’instant « J’ouvre mon petit coeur ». Happy end !

L’instant « j’ouvre mon petit coeur »

Le morceau « La Vie est Belle » est un parfait exemple de ce que PNL sait faire, et bien faire. On retrouve l’auto-tune en élément central de la composition, non-seulement au niveau des voix, mais aussi en sur-mélodie lors du refrain.

Au niveau des textes, ça tient la route. Des antithèses et quelques références bien senties, parsemées dans 2 couplets bien équilibrés. Le format « 1 couplet par rappeur » leur convient d’ailleurs parfaitement bien, leurs voix étant contrastées et complémentaires.

Et bien sûr, la réalisation du clip est remarquable. La Namibie est connue pour ses paysages rêveurs, c’est pas pour rien que le pays est souvent le décor de nos films préférés (je pense à Mad Max : Fury Road notamment), et la réalisation a su mettre cet atout en avant.

On retrouve également un bon nombre d’éléments évocateurs : le coucher de soleil, l’arbre, les hyènes, les phacochères, la savane, … Tout ça ressemble fortement au décor du Roi Lion. On comprend donc mieux le sens du titre de ce morceau : Hakuna Matata !

Le seul bémol que l’on pourrait trouver à ce clip, c’est qu’on a l’impression qu’ils vont nous mettre le feu à la savane à force de fumer pendant le tournage. Mais hormis ce détail pas très écolo, nous avons ici l’une des plus belles productions de PNL depuis leurs début, à mon sens.

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« Hakuna Matata, mais quelle phrase magnifique… »

Il est temps de conclure

Je me suis bien rendu compte en me documentant que le projet PNL dans son ensemble divisait. Les frangins ne laissent pas indifférents, la preuve, on en parle aussi ensemble aujourd’hui. Même les ‘ricains de Fader, passés maitres en matière de hip-hop, se sont intéressés au phénomène français.

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La classe quand même !

Au fond, on leur rend service en écrivant cet article. Parce qu’on est en train de faire ce qu’ils veulent qu’on fasse, en alimentant le secret qui règne autour d’eux. C’est une « communication » moderne et réfléchie qu’ils ont mis en place de manière très professionnelle, et ça force le respect. Retrouvez l’album juste ici.

Je fais peut-être preuve de mauvaise foi dans cet article, d’autant que j’avais dit que les lyrics n’étaient pour moi qu’une question d’interprétation dans l’article sur G-Eazy. Je n’ai simplement pas envie que PNL tombe dans la facilité du rap game, comme d’autres ont pu le faire après des débuts couronnés de succès.

Après tout, l’un des premiers à leur avoir accordé de l’importance n’est autre que le patron Mouloud Achour. Et si le Dieu de la culture musicale en personne s’est manifesté au sujet de ce groupe, c’est pas pour rien.

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Monsieur Mouloud Achour, s’il vous plaît ! © L’Obs

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