Le langage complexe de Childish Gambino

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En me documentant pour écrire cet article, je suis tombé sur ce titre de Gala : « Qui est vraiment Donald Glover, la nouvelle recrue de Star Wars ? ».
Donald Glover, c’est le nom civil de Childish Gambino, et le résumer à son futur rôle dans le prochain hors-série de la guerre des étoiles est une hérésie. Childish Gambino est un alien aux multiples tentacules, capable d’être en une journée ce que nous feignons d’être en une vie. À la fois scénariste, humoriste, producteur, lyriciste, acteur et surtout rappeur, Donald Glover est avant tout un homme de lettres que la lumière fuyait malgré un apport notable à la scène artistique.
Parce que Gala déconne grave et que Wikipédia ne fait pas mieux, voici l’histoire de l’artiste le plus sous-estimé de sa génération.

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via Tumblr

Le commencement

Il était une fois, un bordel sans nom

Ne cherchez pas la jeunesse de Donald Glover sur Wikipédia. Au mieux vous y découvrirez le crouton d’introduction proposé en ce début d’année 2017, au pire vous tomberez sur la page de Danny Glover. Chacun ses références dirons nous, mais cela n’enlève rien au fait que la presse française soit passée à côté d’un artiste qui culmine à plus de 300 millions de vues sur Youtube.

L’explication la plus crédible réside dans le bordel sans nom que se trouve être l’histoire de ce mec.
Tout commence un 25 septembre 1983 d’humeur cocasse, jour de naissance de Donald Glover Jr. dans la Edwards Air Force Base, en Californie. Je suppose que le tarmac d’un aéroport militaire n’était pas le lieu d’accouchement prévu initialement, mais j’ai comme l’impression que nous avons le socle d’un scénario particulièrement prometteur.

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© Rolling Stone France

Le jeune Donald grandit dans l’état de Géorgie, et est élevé parmi les Témoins de Jéhovah.
Une sainte enfance donc, et une adolescence marquée par le racisme et l’homophobie dont il est victime. Il faut croire qu’à Stone Moutain, l’homophobie est aussi valable pour les hétéro.
Celui qui a du mal à être qui il est réellement obtient en 2006 un diplôme en improvisation et en écriture dramatique à la Tisch School of the Arts de l’Université de New York.
Et si vous croyez que les études vont mettre un peu d’ordre dans la vie de Donald Glover, attendez que je vous raconte la suite. C’est maintenant que ça devient stylé.

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© blaremagazine

Qui veut le moins obtient le plus

Au lieu de passer ses dimanche matin à bouffer des corn flakes devant American Dad! dans le caleçon de la veille, Donald cherchait à mettre son temps au service de lui-même.
Il voulait écrire pour les Simpsons ? Il envoie des scénarios aux producteurs des Simpsons. Et il se retrouve avec 3 saisons complètes de 30 Rock, une série de la NBC, à scénariser. Le gars était simplement trop fort pour faire ce qu’il voulait faire, et c’est quand même un comble.

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via Pinterest

Les études terminées, il auditionne afin d’incarner Barack Obama dans le Saturday Night Live. Il n’a pas eu le rôle. Et c’était une bonne idée, puisqu’il entame sa carrière d’acteur dans la série Community, recueil des péripéties d’un groupe d’étudiants dans une sorte d’université américaine.
Ce rôle permet d’installer Donald Glover dans une dynamique créative fructueuse. Il s’éclate dans son boulot, et peut vaquer à des occupations artistiques entre 2 prises.

I call ‘Community’ the best day job in the world, because between takes, I get to write music. I get to write sketches. I get to write movies. It’s the best job ever.

Sa carrière d’acteur se poursuit et il lui est même promis le rôle principal dans le remake The Amazing Spiderman. What ? Un Spiderman afro-américain ? Et oui, il existe visiblement une version du comics Ultimate Spiderman dans laquelle Peter Parker se fait buter puis remplacé illico par un latino-black du nom de Miles Morales.
Vous l’aurez deviné si vous avez vu le film, ça ne s’est pas fait. À la place, Donald Glover se retrouve déguisé en Spiderman dans Community, et double la voix du super héros dans son adaptation en série d’animation.

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© Michael Hurcomb

Les mauvaises langues s’écraseront en découvrant que la carrière cinématographique de Donald Glover ne s’est pas conclue sur cet échec. Certainement sans le savoir, vous avez pu découvrir l’acteur dans le blockbuster Seul Sur Mars. Et oui, celui qui permet à Matt Damon de ne pas mourir de faim ou de se transformer en patate, c’est lui. À croire que Donald s’y retrouve dans son bordel.

Donald Glover et la musique, enfin

Childish Gambino n’est encore qu’une vaste blague sortie d’un algorithme Wu-Tang Clan donnant au hasard des noms de rappeurs. [via Beware!]

Cette vaste blague, c’est une réponse à l’ennuie qui guète Glover s’il se restreint aux stand-ups et à l’écriture de scénario.
Le choix du hip-hop peut se justifier non seulement par les aptitudes qu’il avait démontré dans Community, mais également par le fait que le genre musical, tel qu’il a évolué ces dernières années, correspond à la personnalité de l’artiste.

Les concepts de spontanéité et d’auto-dérision caractéristiques à Donald sont poussés à l’extrême lors de la genèse de Childish Gambino.
Un rapide détour par Google pour se rendre sur le générateur de nom du Wu-Tang le temps de taper « Donald Glover » dans le petit encart à cet effet et POUF, l’artiste avait trouvé son nom de scène.

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© Roger Ho

Il faut bien comprendre que le rap n’est pas le début d’une nouvelle carrière pour l’artiste.
L’écriture, le cinéma et la musique découlent d’une inspiration héritée des mots. Ce ne sont que des moyens d’expression propres aux facettes d’un homme qui ne souhaite pas se limiter à un personnage induit par les spectateurs. Et disons le franchement, c’est aussi parce que bosser dans l’industrie musicale demande un certain capital de départ.

The only reason I’m able to do music is because I’m making money on ‘Community.’ If I wasn’t, I couldn’t pay for things.

La sortie en 2016 de la série Atlanta s’inscrit dans cette dynamique. Le scénario est tout droit sorti de l’imagination du rappeur, qui se charge lui même de jouer le rôle de Earn, personnage principal et apprenti baron de l’industrie musicale. Même si des similitudes peuvent apparaitre comme évidentes, Atlanta n’est pas une série sur Childish Gambino lui-même.
Une facette scénaristique qui mérite un article à elle-seule, un travail très bien réalisé par nos potos de Clique. Cela te permettra au passage d’économiser un abonnement Netflix.

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© blaremagazine

La musique de Childish Gambino

Childish Gambino n’est pas un personnage créé de toute pièce par Donald Glover, et encore moins une façade utilisée par l’artiste pour rester dans l’ombre de la scène. Le rappeur est la même personne que le conteur d’histoire, ce qui induit que la complexité des oeuvres de Childish Gambino est proportionnelle au bordel représentatif de l’histoire de Donald.

Ça peut paraître très prétentieux de dire ça, mais je n’ai pas envie de faire un album. Si je sors un projet aujourd’hui, je veux que ça soit une expérience.  [via Beware!]

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© Jessy Gonzalez

L’initiation

Nous sommes en 2011, et la scène hip-hop américaine découvre que « le mec de Community » sait rapper. Un morceau appelé Freaks & Geeks, et voilà un visage bien connu des écrans de télévision qui s’auto-proclame Mastermind, virevoltant sur un sample de Wiz Khalifa (Black & Yellow).
« Easy to learn, easy to play, but not so easy to win » et pas vraiment la carrure d’un rappeur US non plus, du moins pas l’idée que nous en avons.
Un son qui se résume par son titre évocateur, Freaks & Geeks étant une série qui n’a pas trouvé son public malgré les louanges des critiques.

Un premier album studio sort quelques mois plus tard sous le nom de Camp. Réalisé avec le compositeur Ludwig Göransson, cet opus initiatique aborde des sujets intimes à l’artiste qui s’avèrent être finalement de vrais sujets de société. Des thématiques relatives à la masculinité, la discrimination ou aux violences policières, avec comme étendard le morceau Hold You Down.

Les talents de lyriciste de Glover sont également mis en avant dans Camp. La maitrise des mots donne naissance à des punchlines bien senties et des formules complexes comme on en trouve rarement.

Uncool, but lyrically I’m a stone cold killer – So it’s 400 blows to these Truffaut niggas – Now that’s the line of the century – Niggas missed it, too busy, they lyin’ about penitentiary

Un titre final qui laisse la porte grande ouverte à une suite, une anecdote laissée par son ami humoriste D.C Pierson étant utilisée comme outro sur un sample rappelant The College Dropout. Une histoire qui reste surtout sans fin.
D’autres influences de Kanye West apparaissent, les choeurs lyriques parsemés dans l’album faisant référence au brillantissime My Beautiful Dark Twisted Fantasy, sorti quelques mois plus tôt.

Camp est une production riche et complexe. Étouffé par l’éclosion de Drake, à qui il était un peu vite assimilé, il n’en reste pas moins un album un brin juvénile, démonté par le très sérieux Pitchfork en réponse à une punchline bien sentie de Childish.

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Camp, 2011.

The language of earth

2 ans sont nécessaires à Childish Gambino pour sortir son second album, intitulé Because the internet. Pas moins de 19 titres composent cet opus, qui frappe par sa complexité. Les multiples lectures possibles de l’album, les mises en abîmes répétées et les apartés engagés mettent en valeur le travail de l’artiste, mais ne manquent pas refiler un bon mal de crâne à celui qui s’aventure dans une analyse.

Nous avons donc un ensemble hautement philosophique qui, pour faire un résumé du résumé, parle de la relation entre les Hommes. Ce message est illustré tout au long de l’album par les péripéties d’un jeune garçon, qui présente des traits semblables à l’artiste et qui entre en cohérence avec l’outro de Camp.
Un bouleversement des relations sociales imagé par la démocratisation d’internet et des réseaux sociaux. Ils permettent la création d’une sorte de language universel paradoxal, qui semble isoler plus qu’il ne rassemble.

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© The Original Society

Le morceau 3005 est donc l’une des interprétation de ce message existentiel. Un mariage harmonieux entre hip-hop et sonorité électro ainsi qu’une référence à la philosophie de Christopher McCandless, pour un morceau qui voit mourir l’innocence d’un artiste tourmenté. Vous n’avez qu’à constater la gueule de l’ours en peluche à la fin du clip.

L’histoire se poursuit et nous offre des interludes musicaux très mélancoliques, comme Flight Of The Navigator. Un morceau très sombre, dans lequel l’artiste fait en quelque sorte le deuil des relations sociales hypocrites qui ont marqué sa vie. Un message bien sûr imagé par la mort de son père, pour certainement l’une des plus belles compositions de cet opus.

L’album se clôt sur le tubesque Life: The Biggest Troll. Un titre qui lève le voile sur l’identité du garçon, héros de ce périple musical, et qui referme le livre ouvert dans l’introduction The Library. C’est aussi une morale dissimulée derrière une critique de la culture internet, qui amène à s’interroger sur les comportements sociaux.

Life’s the biggest troll but the joke is on us.

Derrière cette lecture de façade, Because the internet pousse la réflexion vers un questionnement assez existentiel. Comme si ce n’était pas suffisant, Childish Gambino insère aussi dans son oeuvre des critiques relatives aux discriminations par l’intermédiaire des images (Telegraph Ave, Oackland By Lloyd).

Cet album marque également une évolution musicale chez Glover. Le travail de composition est plus complexe et trouve son inspiration dans l’électro et les cuivres. Ainsi, Chance the Rapper et Jhené Aiko sont les acteurs privilégiés d’un album résolument abouti, qui se dévoile au fil des écoutes.

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Because the internet, 2013.

Awaken, Childish Gambino

Le périple musical de Childish Gambino reprend au mois de décembre dernier, avec la sortie de son dernier album Awaken, My Love!. Trois longues années d’attente, qui trouvent leur justification dès la première écoute.

Un réveil aux inspirations bien éloignées des albums précédents, mais pas pour autant inattendues. Les aigus et les cuivres faisaient déjà leur apparition dans Because the internet, et les sonorités pop de la mixtape Kauai, sortie en 2014, montrait une volonté d’évoluer.

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© PP Corn

Awaken, My Love! est un album soul, funk, et pop qui transpire Prince, Funkadelic et Hendrix. Pas de rap, mais du chant et des choeurs. Un opus qui rappelle que Childish Gambino est bien un artiste qui s’épanouit dans l’expérimentation.
L’oeuvre s’est émancipée du récit et de la structure de Because the internet, sans pour autant perdre de sa complexité. En vérité, personne n’a vraiment compris de quoi parlait cette oeuvre.

Un album à l’univers 70s psychédélique rappelé dans Redbone, où le groove de la basse slappée accompagne le chant sensuel de Childish Gambino. Il nous offre même quelques poussées dans les aigus qui ne manquent pas de nous surprendre la première fois. Un titre engagé de manière assez indirecte, celui-ci faisant référence au mouvement Black Lives Matter.

Cet opus amène également l’artiste à s’approprier des disciplines encore peu observées chez lui. The Night Me And Your Mama Met est un morceau entièrement instrumental, qui exalte les émotions de chacun.
La basse s’accompagne progressivement des choeurs et d’un xylophone, dans le seul but de préparer l’arrivée d’un solo de guitare si intense que l’on se retrouve à genou en air guitar à la  manière de Romain Duris dans L’Auberge Espagnole. Un titre qui, par ailleurs, vient de détrôner Marvin Gaye en haut de la playlist qui te permet de conclure le samedi soir.

L’album se conclut sur un morceau de 6 minutes, qui se trouve être un appel à suivre ses rêves et un ode à l’espoir. Stand Tall dévoile une composition variée, en plusieurs actes, qui met en avant les qualités vocales de Childish Gambino.

Awaken, My Love! est une oeuvre qui peut surprendre venue d’un rappeur. Elle prend cependant tout son sens lorsqu’on regarde l’artiste d’un point de vue plus global. Elle s’inscrit dans une volonté d’épanouissement personnel et d’expérimenter au delà des frontières musicales.

2016 est en quelque sorte l’avènement musical de Donald Glover. Au delà de la scène hip-hop, la médiatisation de ce dernier album apporte la légitimité qu’il manquait pour faire de lui un artiste d’envergure internationale. Celui que la lumière fuyait et qui était jusqu’à présent sous-estimé par ses compères va désormais être confronté à la difficulté de se réinventer. Ou pas.

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Awaken, My Love!, 2016.

L’instant « J’ouvre mon petit coeur »

C’est si peu fréquent qu’il est important de le noter : je n’ai eu aucune difficulté à choisir le sujet de cette partie.

Au delà d’être très personnel, le morceau All The Shine est certainement l’une des plus belles compositions de Childish Gambino.
Une structure progressive qui voit se succéder les percussions, la guitare, puis le piano et les violons pour accompagner le flow sincère du rappeur. Un morceau qui mérite son live avec un orchestre symphonique.

Donald Glover n’était pas le plus cool à l’école. Il ne correspond pas non plus aux codes du rap game. Une crédibilité difficile à obtenir du fait de ses multiples vies, mais une réelle volonté d’imposer son art et sa personnalité, et c’est tout l’objet de ce morceau.
Ainsi, Gambino a redéfinit les codes du hip-hop, à la manière de Lil Yachty plus récemment.

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© music.mxdwn

Il est temps de conclure

Il n’est pas aisé de dresser le portrait de Childish Gambino en un seul article. Les différentes facettes de son art méritent d’être approfondies indépendamment, ce qui fait de lui un artiste aussi captivant que complexe.

Dans une approche semblable à celle de Woodkid, les clips de Childish ne ressemblent à aucun autre. Parsemés de liens et de références, la patte du scénariste se fait sentir chez le rappeur, qui s’amuse à ajouter du sens aux images.

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© Blare Magazine

À l’instar de Kanye West, Donald Glover fait partie de ceux qui voient le rap comme un moyen et non comme une finalité en soi. Cela se retrouve dans sa volonté de parler « d’expérience » pour désigner un album, dans laquelle la musique n’est que le vecteur d’un message qui dépasse l’artiste.

Peu importe la forme, les différents moyens d’expression qu’il utilise ne sont que des déclinaisons de l’art des mots. Son talent réside donc dans la dextérité avec laquelle il manipule et joue avec ces mots.
Camus peut trembler, Donald Glover est l’écrivain moderne.

He’s never seemed satisfied with being “that guy from Community who also raps. »

 

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© Daniel Patlan

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