Garage Rock, l’éternel recommencement

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Vendredi 27 janvier : un énième album de l’artiste Ty Segall, un blondinet californien fan de surf et de rock qui multiplie depuis 2008 projets, albums et tournées en tous genres. Une nouvelle presque anecdotique puisque ce natif de L.A hyperproductif sort en moyenne un disque tous les 6 mois.
Cette ritualisation fascine son public et les médias qui en viennent même à remettre en cause la santé de l’artiste en l’absence de nouvelles pendant plusieurs mois. L’effervescence prend dans le microcosme de la musique indé et voilà que la presse spécialisée, les rubriques culturelles des journaux nationaux et radios en tout genre annoncent une nouvelle production d’un des chefs de file du rock garage de ces dix dernières années.
Mais au fait le rock garage c’est quoi ? On en parle bien souvent mais que cache ce style de musique à la fois énigmatique, et un peu fourre-tout dans l’esprit collectif ? Quelle sémantique pour ce mot ?
Aujourd’hui on va parler de rock un peu crade et rien qu’à l’idée de le faire, je peux vous dire que je m’en frotte les mains. En même temps c’est normal parce que le Garage, c’est le rock qui tâche.

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Le commencement 

Les années 50/60 : Exploration embryonnaire

Le Rock Garage n’est pas « tombé du ciel » comme le disque de Jacques Higelin en 88, mais j’en suis tout de même tombé amoureux. Comme tout style de musique, les avis diverges quant à la temporalité des origines de ce style. Années 50 pour certains, 60 pour d’autres, une chose est sûre, il est bien né aux Etats-Unis.

Si l’on devait donner une chanson initiatrice, une sorte d’archétype, elle répondrait au nom de Louie Louie. Un titre créé en 1957 par l’anonyme Richard Berry and the Pharaohs (aaaah ce fameux « and the » dans les groupes de rock) popularisé par les Kingsmen en 1963. Je suis presque sûr que vous avez déjà entendu cet air quelque part. Ce qui n’est d’ailleurs pas surprenant, cette suite d’accord est surexploitée depuis des dizaines d’années dans le monde du rock et des musiques actuelles !

Même si ici Jack Ely, leader du groupe, marmonne des paroles aussi incompréhensibles qu’un français faisant du yaourt, on apprécie le ton de cette track qui sonne comme une rupture avec le rythm’n’blues et le rock’n’roll de l’époque.

Nous sommes au début des années 60 quand la british wave débarque aux États-Unis. La jeunesse américaine découvre alors les très bon Kinks, The Who, Les Rolling Stones, et forcement les Beatles (un peu pop tout de même). Ces dandy aux allures plus ou moins soignées vont influencer un rock américain qui se cherche dans une période un peu spéciale, celle du fraternity rock.

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© indianabands60s.blogspot

Le fraternity rock c’est quoi ? C’est l’ancêtre de ton groupe du lycée. Celui où t’avais des cheveux longs cachant ton visage « 2 en 1 » qui te servait également de calculette. Celui où toi et tes copains, vous répétiez une fois par semaine en buvant des bières pour préparer votre prochain concert, celui du bal de promo.

Blague à part, c’est cette jeunesse pleine d’ambition qui va s’imprégner du rock british, assimiler et mûrir les influences pour faire naitre de sympathiques groupes. Les Standells par exemple.

Ces gars là sont de vrais pros, il arrivent à jouer sans même être branchés et en tapant dans le vide, à l’image du batteur…

1967, un déclin se fait sentir. En cause, l’arrivée de la pop music, du psychédélisme puis du hard rock, mais également une guerre du Vietnam qui mobilise sous les drapeaux la jeunesse américaine et fait splitter au passage bon nombre de jeunes groupes.

De 70 à 80 : Le vide (ou presque)

Une période extrêmement riche pour le rock, mais pas pour le Garage. Le hard rock bat son plein et les résistants se font rares, à quelques exceptions « compilations revival » près, qui valent tout de même le détour.

Une base blues, des chants aux accents sixties et un son au grain emblématique. La belle époque ?

80 à 2000 : Les montagnes russes

L’arrivée du punk, post punk, de la new wave et des synthétiseur (#jeanmicheljarre) n’arrange rien aux affaires de notre bon vieux Rock Garage qui survit dans l’ombre. Il faut dire que l’industrie musicale est en plein boom et que les budgets des maisons de disques explosent.

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Jean Michel Jarre en studio. Mais elle est où la batterie ?

C’est l’époque d’MTV, de la rétrogradation progressive du vinyle au profit du support CD et logiquement de l’explosion de supers groupes internationaux tels les Cure, Duran Duran ou encore Kraftwerk.

Dans ce contexte, au risque de se faire traiter de « has been » ou nostalgique des années 60, certaines formations gardent l’esprit d’origine sans pour autant renier la modernité qui s’offre à eux.

The Barracudas. Certes, on s’éloigne un peu des origines mais si on écoute attentivement on reconnait bien les influences.

S’en suivent des hauts et des bas, du néant et des fulgurances. Ah la mode… que voulez vous ! Néanmoins, si je devais vous donner une référence Garage qui persiste dans le joyeux bordel des années 80 et 90 : The Fuzztones.

Ce groupe formé dans les années 80 à New York s’est tellement inspiré du garage qu’il a assuré sa survie au beau milieu d’une période où, on peut le dire, peu de gens en avaient quelque chose à foutre s’y intéressaient.
Certains me reprocheront de ne pas citer le travail d’Iggy Pop et des Stooges mais à titre personnel, les Fuzztones collent davantage au racines Garage, celles des sixties.

Au fond, l’histoire du garage est un effet de mode au même titre que celle des autres styles de musiques actuelles. C’est aussi un peu l’histoire d’un Doliprane : un grand plongeon, une effervescence, un mal de tête soigné et on passe à autre chose.  Pas si sûr.

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Une petite photo de notre bon vieux Iggy et les Stooges, histoire qu’il ne boude pas trop. Sympa la coupe non ?

Les années 2000 : Le revival

La mode est un éternel recommencement. Aux début des années 2000, certains groupes très populaire à l’image de The Strokes,des Libertines et de Pete Doherty, remettent la guitare rock au goût du jour.

La vague rock des années 2000 était née avec au milieu, le Garage (sans blague ?). Ce dernier revient à la mode selon deux courants. Le premier est d’une initiative 100% revivaliste, tournée vers les années 60. Certains groupes vont jusqu’a utiliser les même modes d’enregistrements et les même instruments afin d’en retranscrire l’authenticité.

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The Satelliters

La deuxième vision est celle d’une poignée d’artiste souhaitant prouver au monde que le rock a un avenir. Ils produisent une musique dans laquelle on sent des influences bien assimilées. Le résultat est probant. Ils sortent le Rock Garage de ses gonds et réussissent à l’extraire de son enveloppe 60’s réductrice voire paralysante.

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Jack White en live. © Kyleen James

Jack White fait parti de ces personnalités un brin nostalgique qui ont lancé ce mouvement. C’est un amoureux du vinyle et de cette belle époque où il aurait pu naitre. Fervent défenseur du blues, de la country et logiquement du Garage, ce chanteur-batteur-pianiste mais surtout guitariste hors pair a ça dans le sang.

The White Stripes est son projet le plus connu. Alors oui c’est bien le duo infernal qui a composé la tristement célèbre hymne de stade Seven Nation Army (#pooooopolopopopoooooopo).
Mais non, cette track n’est pas représentative de leur univers, loin de là.

Dead Leaves and The Dirty Ground rassemblent toutes les caractéristiques qui font la particularité du son White Stripes : de la mélodie et une guitare ultra saturée accompagnée d’un jeu de batterie authentique.

J’aurais tellement de belles choses à dire sur ce groupe, et Jack White en particulier, qu’il serait dommage de s’y atteler maintenant. Mais pas de panique, au moment où j’écris ces lignes, je réfléchis à vous en parler plus en détails ultérieurement ! 

Assez divagué, il est désormais temps de parler des caractéristiques de la musique garage.

La musique Garage

Des instruments « types »

À l’origine, le Garage était un rock plus abrasif que ses prédécesseurs. Les musiciens savaient avec précision le son qu’ils souhaitaient donner à leur groupe, et les idées ne manquaient pas. Le problème résidait cependant dans les moyens techniques qui étaient à leur disposition.

À l’époque par exemple, la puissance sonore des amplis était insuffisante pour produire des sons aussi graves que souhaité en live. Les guitaristes furent obligé de jouer les Mac Giver en bricolant leurs instruments, ce qui a donné lieu à l’invention de la pédale à effet dites « Fuzz » (une pédale utilisée à ses début par Keith Richard, guitariste des Rolling Stones).
Le son qui sortait des amplis était alors terriblement saturé mais offrait la possibilité de jouer en live.

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Brian Jones, ancien membre des Rolling Stones et sa guitare Phantom

 Pour faire simple, le Garage c’est : 

  • De la guitare électrique. Beaucoup beaucoup beaucoup de guitare. Des effets gras, des amplis qui « crachent » comme on dit dans le jargon. Contrairement à d’autres style, la guitare est au Garage ce que le steak est au hamburger. Sans elle il est compliqué de réussir l’exercice.
  • Un duo rythmique basse-batterie rock des plus classiques. Les structures sont pour la plupart en 4 temps. Simple et efficace, on n’en demande pas plus.
  • Un orgue : de préférence un Farfisa (la marque italienne) ou un Vox. Leur son est acide et très typé. L’orgue est devenu la marque de fabrique des groupes Garage mais a aussi marqué l’histoire du rock grâce aux Doors qui ont littéralement popularisé son usage.

Tout ça c’est bien joli, mais on oublie le plus important : le tambourin ! Cet instrument rythmique est une aubaine pour les chanteurs ne sachant pas jouer d’un instrument.
Il apporte ce petit plus qu’on retrouve par exemple chez les Brian Jonestown Massacre, groupe dans lequel Joel Gion ne fait QUE ça. Pas mal non ?

Même si ce sujet vidéo peut paraitre dérisoire, personne ne sait jouer du tambourin comme lui, je vous l’assure.

Vous l’aurez compris, cet article fait suite au précédent sur le Post Rock et garde sensiblement la même structure.
Maintenant que vous avez les cartes en mains pour comprendre la musique Garage, voici une liste non exhaustive et strictement personnelle des deux vagues qui sont, selon moi, représentatives de l’esprit Garage, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui.

Les précurseurs

Nous avons pu le voir dans la partie précédente : le Garage est né dans les années 60. Il est influencé par le blues et le rock’n’roll, et va évoluer au fil des décennies avec l’émergence de nouveaux courants musicaux. Cette première vague couvre donc l’âge d’or du Garage,  les années 60 !

The Rolling Stones, Route 66 (1964)

Les Rolling Stones sont plus qu’un groupe de musique. Véritables gourous du rock, ils débutent leur carrière par un album de reprises blues.
Ces gaillards vont, sans s’en rendre compte, apporter un vent de fraicheur à ces titres, les marquer d’une attitude et d’une esthétique que personne n’avait auparavant. Tout  cela en  essayant simplement de jouer la musique qu’ils aiment tant, le blues.

Route 66 est une reprise de Chuck Berry totalement disruptive. Je vous invite à vous faire l’oreille en écoutant sa version originale. Vous vous rendrez sûrement compte du talent novateur des Stones à l’époque.

The Sonics, Have love, Will Travel (1965)

Les cultissimes Sonics et leur son bien cracra ! Une référence du genre sortie en 65 sur un album mêlant compositions et reprises blues.
Du rapide, du bon, du vieux, du complet à l’image des instruments présents  : de l’orgue, du piano, de la guitare, de la basse, du chant, des percussions, du saxophone et même de l’harmonica sur certains morceaux ! 

Les Sonics ont exercé une immense influence dans le monde du garage. Le son des enregistrements est unique, saturé au possible (et oui, c’est bien un solo de saxophone que vous entendez à la fin du morceau).
On dit même qu’ils ont troué le faux plafond de leur studio d’enregistrement pour obtenir un son plus « live ».

The Shadows Of Knight, Gloria (1966)

Un quintet au nom accrocheur originaire de la banlieue nord de Chicago qui, comme beaucoup de groupe Garage à l’époque, s’est fait remarqué par ses reprises blues sauvages.
Leur carrière sera aussi fulgurante que la plupart des formations de l’année 66. 2/3 albums aux compteurs, si l’on compte le dernier de 69, bien loin de l’âme du groupe. C’est dommage, parce qu’on en redemandait…

Une scène actuelle hyper-active

Jim Jones Revue, Princess and The Frog (2007)

Probablement un des groupes les plus survoltés que j’ai pu voir en concert. Porté par l’énergie déborde de Jim Jones, leur chanteur, Jim Jones Revue fait partie de la vision revival des années 60.

Le rockabilly et le blues sont tout proche, mais avec l’esprit Garage en plus. La voix du chanteur et le traitement sonore sont perchés si haut dans le rouge qu’on se demande si nos enceintes et casques audio ne vont pas exploser à l’écoute de ce morceau.
Les Jim Jones assument leur boulot et sont de très (très) bon musiciens. Big up au pianiste qui est juste… impressionnant !

Ty Segall, Feel (2014)

Ici, On retrouve notre copain Ty Segall. Je suis fan de sa musique mais également du bonhomme et de ce qu’il représente dans l’industrie musicale actuelle.
Alors que les majors, DA, et autres acteurs du music business préconisent aux artistes de ne pas dépasser un album par an, lui n’en fait qu’a sa tête. Il bazarde son boulot dans les bacs dès qu’il l’estime prêt à être écouté.

Je m’éloigne peut être un peu du sujet en parlant de cela, mais pas tant que ça quand même. La musique Garage est nonchalante. Nonchalance que l’on retrouve aussi dans la manière qu’ont les artistes à appréhender leur vie (parfois difficile).
Et il n’est pas exagéré de dire que le Garage s’offre un majeur levé bien haut face aux majors. Ouais, on était pas loin du jeu de mot.

The Oh Sees, The Dream (2011)

Dans la famille des groupes Garage actuels ultra productifs, je voudrais The Oh Sees. 17 albums depuis 2003 si l’on compte leur premier avatar, du nom de The OCS, rien que ça. Si Ty Segall avait un frère, ce serait probablement John Dyer, leader ultra charismatique du groupe. Ce n’est qu’à l’âge de 35 ans que John parvient à vivre de sa musique après des années de disette, animée par une seule et unique passion, le rock.

Le style vestimentaire un peu débraillé qu’il cultive, avec sa mèche, ses tatouages et ses shorts sont assez représentatifs de l’esthétique des groupes Garage d’aujourd’hui.
En live, l’énergie déployée par ce groupe est tellement contagieuse que même les non-initiés se surprendront à hocher la tête. C’est gras, c’est rythmé, la voix est survoltée, c’est à se demander ce qu’il mange (ou boit, ou je ne sais pas) avant d’entrer sur scène !

J’affectionne tout particulièrement ce groupe car à chaque sortie d’album, c’est toujours pareil, mais différent (hum hum…). Sur sa dernière tournée par exemple, John Dyer a intégré un deuxième batteur à la formation d’origine pour le live. Je vous laisse imaginer la puissance de l’orchestre.

Après ce petit tour d’horizon, difficile d’ouvrir son petit cœur sur un unique morceau quand on parle d’un style musical. Qui plus est aussi fourni que le Rock Garage. En conséquence, je préfère vous partager une playlist « coups de cœur » comme je l’ai fait dans mon article sur le Post-Rock. Enjoy !

J’écoute en boucle

Il est temps de conclure

À travers cet article, je souhaitais partager avec vous mon affection pour le Garage Rock. Ce style si emblématique a, selon moi, eu une influence considérable sur tout ce qu’on a pu retrouver dans l’univers rock des années 70 à maintenant.

Au delà de la musique pure, c’est une manière de vivre, une attitude à contrecourant. Je pense qu’historiquement, les contre-cultures ont toujours apporté plus qu’on ne le pense à notre musique actuelle. Et oui… les soupes servies par certaines majors possèdent de bien belles origines. Déjà qu’ils n’ont pas inventé l’eau tiède, ne leur attribuons pas l’invention de nouveaux styles musicaux, surtout pas !

En guise de conclusion, je vous laisse apprécier une scène comme on n’en voit plus beaucoup de nos jours. Celle de Ty Segall, encore lui, au festival Primavera Sound 2016, qui invite un spectateur sur scène pendant 10 min et va même jusqu’à prendre sa place dans le public. Ça c’est du rock.

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