A la découverte de l’ukiyo-e

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Cet article est volontairement plus court que les autres qui peuvent être publiés sur le blog, par soucis de digestibilité. Avec internet, la mondialisation, et toutes ces choses assez cools, on a tous accès à toutes les cultures du monde entier. On va entamer notre série sur la culture japonaise en parlant des estampes japonaises, ou ukiyo-e.

Je crois pouvoir dire qu’on a tous au moins vu l’œuvre ci-dessus dans sa vie. Ou celle-la :

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Mais que ceux qui se sont vraiment intéressés à ces œuvres lèvent la main. Quoi ? Si peu ? Bon d’accord, je m’y attendais. Car internet manque diablement d’articles accessibles sur ces œuvres. Bon, on sait vaguement que ce sont des japonais qui les ont faites. On sait aussi que la première c’est Hokusai. La deuxième, par contre, elle nous parle moins. On sait enfin que ce sont des estampes. Quant à savoir exactement ce qu’est une estampe…

Mais on est tous d’accord, c’est super joli. Ça rendrait super bien dans notre salon, et cette esthétique japonaise tant à la mode de nos jours nous inspire beaucoup. Alors si ça vous plait, si vous avez envie d’en savoir un peu plus, vous êtes au bon endroit. On va pas faire un article encyclopédique, car ça risquerait d’être chiant. Je vais essayer de vous partager mon admiration pour cet art japonais, délicat et intelligent.

Histoire des estampes japonaises

Ukiyo-e

Les deux œuvres que je vous ai présentées dans l’introduction sont respectivement d’Hokusai et d’Hiroshige. Ces deux œuvres font partie de séries qui sortaient sous forme de feuilletons. La première, la célèbre grande vague d’Hokusai est parue en 1830 dans les 36 vues du Mont Fuji.

Note de Hans : Quelque chose me dit que des petits surfeurs s’en sont inspirés… 

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Et oui, le logo de la marque Quiksilver, c’est Hokusai ! Ils sont pas bêtes dans ce blog hein !

La deuxième est directement issue des Vues célèbres des soixante et quelques provinces d’Hiroshige, dont les sorties se sont espacées entre 1832 et 1834. Ces deux artistes sont les plus connus mais aussi font partie des derniers artistes majeurs de la tradition de l’Ukiyo-e. Cékoissa ?

Ça veut littéralement dire « images du monde flottant ». Bon déjà le nom est joli. Et ce courant artistique s’est exprimé grâce à des gravures de bois entre les 17ème et 19ème siècles au Japon. Ils pouvaient représenter autant la vie à Edo (l’ancien nom de Tokyo), que les paysages naturels du pays du soleil levant. Mais l’Ukiyo-e ce n’est pas seulement des gravures de bois représentant des paysages ou des scènes de vie.

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Une des 36 vues du Mont Fuji d’Hokusai

En effet l’Ukiyo-e dérive de la conception bouddhiste du caractère vain de la vie. En 1661 Asai Ryoi sortit un roman, L’histoire du monde flottant dans lequel il définit sa vision de la chose :

« Vivre pour l’instant, contempler la lune, les fleurs des cerisiers et des feuilles d’érables, apprécier le vin, les femmes et la poésie, aborder la plus criante pauvreté avec un mot d’esprit pour ne pas s’en accabler, se laisser porter par le courant de la vie comme une calebasse dérivant sur l’eau d’une rivière, voilà ce qu’est l’ukiyo. » Joli programme.

On retrouve cet aspect hédoniste durant l’ère d’Edo.Cette ère fait référence à la période durant laquelle le gouvernement militaire a pris le pouvoir et l’a installé à Edo (1615-1868). Le shogun régnait durant cette ère en dictateur. Le pays était alors divisé en 200 territoires gouvernés par des seigneurs féodaux appelés daimyos, suppléés par leurs célèbres guerriers, les samuraïs.

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Non, je ne parle pas de shogun tonight

Influence de l’Europe

Les estampes qu’on aime bien aujourd’hui sont en fait le fruit d’une collaboration entre le Japon et l’Europe. Car avant d’ouvrir gentiment leurs ports aux navires hollandais, les artistes japonais ne connaissaient pas la perspective. Ils ne connaissaient que la traditionnelle vue d’oiseau d’origine chinoise et la vue plane et décorative de la peinture japonaise.

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Exemple de vue d’oiseau, dans cette estampe d’Hiroshige intitulée « Gorge enneigée ». Il s’emmerdait pas pour les titres.
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Une vue plane japonaise, estampe intitulée « La plaine de Musashino », toujours d’Hiroshige.

C’est donc en 1707 avec le Grand livre de la peinture de Gérard de Lairesse qu’ils découvrirent les lignes de fuites et la perspective linéaire. Mais ce n’est pas tout car ils accueillirent des livres d’anatomie, de chirurgie, des encyclopédies botaniques, ou même des ouvrages sur la cartographie. Eux qui étaient dans une idéalisation de la nature se retrouvèrent confrontés à la vision scientifique que les européens avaient sur le monde. Fiou, je vous dis pas le choc !

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Cette estampe s’appelle « Vue vespérale de Kasumigaseki », d’Hiroshige. On remarque qu’il ne maîtrisait pas encore la perspective.
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Il s’est approprié cette technique, on le voit bien grâce à cette estampe, « Kasumigaseki ».

Comment ça marche ?

C’est bien sympa de parler d’estampes japonaises. Mais aujourd’hui avec nos technologies d’impression on a du mal à imaginer le travail que représentait le tirage de telles séries. Car à la faveur d’un prix raisonnable, la demande d’estampes était très grande.

Un mécanisme bien huilé

Le but était d’avoir un moyen de production de masse, le moins cher possible et avec les technologies de l’époque. Ils créèrent donc la xylographie polychrome. Comme dans toute entreprise qui se respecte, le principe repose sur la répartition des tâches.

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« Averse soudaine sur le pont Shin-Ohashi et Atake » d’Hiroshige. Juste pour le plaisir.
  • Dans un premier temps l’artiste était chargé par l’éditeur d’imaginer une œuvre, selon un certain sujet si c’était une commande.
  • Ensuite un graveur spécialisé recevait en noir et blanc le dessin de l’artiste sur un fin papier translucide dont le recto était collé à une planche. Il taillait alors avec précision les lignes du dessin en éliminant le bois inutile jusqu’à ce qu’apparaisse la structure graphique de l’œuvre.
  • Le dessinateur recevait des épreuves de cette planche, et décidait les couleurs qu’il désirait insérer sur son œuvre. Puis il annotait les planches de couleurs en indiquant bien le ton qu’il souhaitait dans chaque champ concerné. Une planche par couleur. Il pouvait y avoir jusqu’à 12 planches de couleurs.
  • Ces planches arrivaient directement à l’imprimeur. Pour procéder à l’impression il prenait une planche de couleur, appliquait la peinture aux endroits annotés par l’artiste, posait un pochoir qui protégeait les zones qui ne devait pas être colorées. Puis il déposait la feuille imbibée d’eau, et la pressait sur la planche à l’aide d’un tampon (baren) avec des mouvements en spirale. Il renouvelait l’opération pour chaque planche de couleur, et l’œuvre se dévoilait sur la feuille imbibée d’eau au fur et à mesure que les couleurs étaient imprimées. Il était d’ailleurs commun de voir apparaitre les nervures du bois sur l’œuvre finale, à cause des planches d’impression. Je vous laisse en juger mais c’est quand même badass.
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On voit bien les nervures du bois dans le ciel bleu. Magnifique non ? « La rivière Katabira et son pont près de l’étape Hodogaya » d’Hiroshige.

Un travail d’orfèvre qui souffre des déformations du temps

Toutes les phases de ce processus étaient des travaux délicats et qui demandaient une grande maîtrise. Mais la phase d’impression était le point culminant de technicité, car c’était à ce moment-là que l’œuvre prenait réellement vie. L’imprimeur devait sans cesse estomper ou diluer les encres sur la planche d’impression pour coller à ce que désirait l’artiste. C’est pour ça qu’on peut voir de grandes variations sur une estampe, selon la période où elle a été imprimée. Le temps avait donc une forte emprise sur ces œuvres, non pas à cause de l’usure des encres ou quoi que ce soit, mais à cause du niveau aléatoire des imprimeurs.

Pour témoigner de la beauté de l’impression selon cette méthode, cette vidéo. Vous verrez l’œuvre se dessiner sous vos yeux avec une délicate poésie.

Des œuvres symboles d’une époque

L’art un moyen d’expression qui aime bien se mettre en opposition au pouvoir et évoquer l’envie de changement. Les œuvres d’Hiroshige et d’Hokusai ne font pas figure d’exception, et témoignent bien du changement qui s’opérait dans la société japonaise.

L’art à la recherche du nouveau

Jusqu’à ces deux artistes, le paysage était seulement considéré comme un décor dans les estampes qui représentaient des belles femmes, des portraits d’acteurs ou de héros. Quand sont arrivées les estampes paysagères, elles firent un tabac. Le paysage devenait le sujet de l’œuvre.

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Le sujet redevient le paysage, avec cette estampe d’Hiroshige qui s’appelle « Kanbara ».

Ce changement de cap des estampes japonaises ne s’explique pas seulement par l’arrivée de ces deux génies, pas non plus par la forte censure qu’exerçait le gouvernement militaire. En réalité ce changement était inéluctable, car les japonais avaient de plus en plus envie de se réapproprier leur pays, et comme un symbole, leurs paysages. Le système féodal en place ne leur convenait plus du tout, et tout était prétexte à s’opposer à eux. L’art en était donc un. La tradition des peintures idéalisant les hommes et les paysages fut abandonnée pour un regard plus subjectif et plus sentimental.

Un art à l’image de la bourgeoisie montante

Qui étaient donc ces rebelles fous qui s’intéressaient à un art aussi suggestif ? C’était la bourgeoisie des villes, composée des artisans et des marchands, qui gagnaient bien leur vie mais étaient peu estimés par le gouvernement militaire. Ces personnes aimaient la vie et annonçaient un changement de mœurs dans la société japonaise. A bas les valeurs morales influencées par la Chine, vive l’Ukiyo-e !

Ils étaient donc très friands de culture, allaient au théâtre, participaient à des cercles poétiques, faisaient des excursions dans des jardins. Ils aimaient la bonne chère et s’amusaient à chercher les meilleurs restaurants et salons de thé des villes. On avait donc affaire à une société qui s’enrichissait culturellement, pas de TPMP à l’horizon pour les décérébrer. Hiroshige a d’ailleurs sorti une série de 26 estampes entre 1835 et 1842 consacrées aux meilleurs restaurants et maisons de thé d’Edo. Un petit Trip Advisor avant l’heure.

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Une des estampes d’Hiroshige consacrées aux maisons de thé et restaurant. « La maison de thé Nikenjaya près du sanctuaire de Hachima à Fukagawa ».

L’intérêt des Européens

Les estampes japonaises inspirent l’admiration depuis quelques siècles, une admiration sans doute aussi facilitée par l’admiration qu’on porte aux cultures asiatiques. Mais cela n’a pas toujours été le cas, nos lointains ancêtres n’étaient pas forcément fans.

Du dédain à l’admiration

A croire qu’aux 17ème et 18ème siècles on était un peu centrés sur notre nombril. On regardait de haut les japonais avec leurs estampes, c’était mignon mais il y avait trop de vide. Ben oui quoi, ne pas remplir à l’excès est une preuve de fainéantise non ? Pire, de dilettantisme ! Mais quand arrive la seconde moitié du 19ème siècle, avec les Expositions Universelles de Londres (1862) et de Paris (1867), on redécouvrit ces œuvres sous un nouvel œil.

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La photo du palais de l’exposition de Paris de 1867, deuxième domiciliée à Paris après celle de 1855.

Un engouement d’autant plus grand chez les artistes qui cherchaient à exprimer les grands changements de leur siècle, mais avec des sujets et des contenus nouvelles. Sans quoi, ça aurait été difficile d’exprimer leurs bouleversements sans une révolution technique. Cet état d’esprit est d’ailleurs assez proche de celui de la culture bourgeoise du début du 19ème siècle.

De nombreux artistes inspirés par l’Ukiyo-e

L’Ukiyo-e a influencé une longue liste d’artistes tels que les impressionnistes, les post-impressionnistes ou les artistes de l’Art Nouveau. C’est parti pour vous donner quelques petites anecdotes croustillantes. Ouais bon, c’est pas exactement le mot, on n’est pas dans Closer.

Premier nommé, James Abbott McNeill Whistler. Vous connaissiez pas ? Et vous n’avez pas lu son nom en entier ? Pas grave, je suis dans le même cas. Mais c’est toujours intéressant de découvrir un nouvel artiste. Ce brave peintre a peint dans les années 1870 sous le titre de Nocturnes, une série de 30 vues de la Tamise. Je crois que ce n’est pas sans rappeler quelqu’un…

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« Nocturne in black and gold » de Whistler.

Edouard Manet s’est inspiré du Parc de Pruniers à Kameido d’Hiroshige pour son tableau célèbre La Musique aux Tuileries. Amusant non ?

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« La musique aux Tuileries » de Manet

Son quasi homonyme Edouard Monet, en plus de s’appeler presque pareil que Manet, était lui aussi amoureux des estampes japonaises. Il en avait 200 chez lui, et alla même jusqu’à transformer son jardin en jardin japonais en s’inspirant des œuvres d’Hiroshige.

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Son célèbre tableau « Le pont japonais »

Van Gogh allait souvent dans une boutique d’art japonais ouverte par Siegfried Bing à Paris. Le fameux artiste qui n’aimait vraisemblablement pas ses oreilles avait une grande collection d’estampes et a même copié Le parc de Kameido de la série des Cent vues célèbres d’Edo d’Hiroshige.

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« Parc de pruniers à Kameido », version Hiroshige
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Et la version plus intense de Van Gogh. « Japonaiserie : prunier en fleur ».

D’ailleurs le gérant de la boutique en question, Bing, a sortait une revue mensuelle sur l’art japonais qui a inspiré Henry de Toulouse-Lautrec, Gustav Klimt et Paul Gauguin.

 

C’en est tout pour cet article sur les estampes japonaises que nous aimons tous. J’espère vous avoir donné envie de vous intéresser plus à leur art.

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2 commentaires

  1. Ton article est extrêmement intéressant ! Je ne suis pas très intéressée par l’Art Japonais en général mais la façon dont tu abordes les estampes japonaises en t’appuyant sur de nombreux artistes avec de nombreuses références, etc, je suis bluffée. Merci pour cette extraordinaire découverte !

    1. Salut Roxane, merci pour ton commentaire, ça fait plaisir de lire ce genre de paroles ! J’espère t’avoir un peu donné envie d’en savoir plus sur l’art japonais, il est très riche et étonnamment différent de l’art européen. Merci encore pour ton commentaire enthousiaste !

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