Sur la route avec Ben Harper, entre musique et philosophie

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C’est le printemps et au Melting Potes, on est d’humeur musicale et philosophe. Après la soul de Sampha, on prend aujourd’hui le temps de discuter d’un artiste tout en éclectisme : Ben Harper.
Cet Américain amoureux de notre belle capitale française manie avec dextérité de nombreux styles musicaux, toujours en y incorporant une touche de sensibilité devenue avec le temps distinctive.
C’est un retour à l’authenticité que l’on vous propose : de la vraie musique, faite pour les vraies raisons.

Le commencement

La philosophie de Ben Harper

Je m’appelle Ben Harper et je crois en la liberté. Je crois en la liberté que chacun de nous peut apporter à la Terre, chacun à sa façon. Ma façon à moi, c’est la musique.

Cette phrase, prononcée à New York en 1997 entre 2 chansons lors d’un concert, reflète bien la philosophie de Benjamin Charles Harper.
Elle est pure et limpide. Pour certains, elle est l’illustration d’un utopisme statique dans le monde artistique, alors que pour d’autres, elle représente des valeurs à la fois simples et ambitieuses.

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© via Spotify

Alors que nous sommes quotidiennement matraqués par le grand rassemblement national prôné chacun à sa manière par nos chers candidats à l’élection présidentielle, Ben Harper récolte mon vote en se présentant comme un musicien philosophe et vagabond qui fédère autour de la musique.
C’est le moyen qu’il a choisit pour diffuser sa pensée, résolument humaniste et optimiste, à qui veut bien l’entendre.

Une histoire humble et authentique

Son histoire à lui n’a rien d’incroyable, c’est finalement celle de milliers d’enfants. C’est d’abord celle d’une couleur, ou plutôt de plusieurs couleurs.
Un métissage cherokee et européen transmit en 1969 par ses parents, Léonard et Ellen, en même temps que les cheveux frisés qu’il galère à coiffer encore aujourd’hui. Et je parle en connaissance de cause.

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Oui, je parle de cette tignasse.
© via Spotify

C’est aussi le récit d’une éducation. Difficile de faire plus spécifique que son apprentissage, lui qui a grandi au milieu des guitares du magasin d’instruments folkloriques de ses grands-parents, le Folk Music Center de Claremont, en Californie.
Un père luthier et une mère prof de tout-instrument-à-cordes-existant-sur-cette-terre-et-dans-la-galaxie complètent un environnement particulièrement favorable à l’épanouissement musical de Benjamin.

Enfin, c’est une histoire d’inspirations et d’ascendances. Des modèles tout d’abord, comme son grand-père et sa mère, et des figures déchues, comme son père qui l’a abandonné à l’âge de 5 ans.
Des idoles ensuite, Jimi Hendrix et Bob Marley en tête, et des influences diverses, du folk au R&B. Attention, je parle ici du véritable R&B, du Rhythm & Blues de D’Angelo, pas de la bouse en boite de Sheryfa Luna.

Ses débuts musicaux et le goût du partage

Tout cela forme un ensemble assez équilibré, socle d’une enfance stable et enrichissante. Le jeune Ben Harper ne manque de rien et se réjoui des trous dans ses jeans. La guitare dans une main et le skate dans l’autre, il apprend la vie dans la rue, avec ses potes.
De cette époque, il gardera le goût du partage, et du travail à plusieurs.

Bon, ce qui est sûr, c’est qu’il n’y gardera pas le goût de l’école, et s’en éloignera peu à peu pour se consacrer pleinement à la musique. C’est finalement vers ses 19 ans qu’il commence à composer ses premières mélodies et à se produire en public.
Le Starvation Caffé et le Nick’s Caffé Trevi seront les premières scènes de Ben Harper, et marqueront la naissance d’un artiste résolument attaché au live.

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On va pas faire de chi-chi pour 8$ ! © Ben Harper

Certes, il est repéré et produit dès l’âge de 23 ans, mais sa philosophie se trouve bien loin des studios de production californiens. Il échappe à la pression des charts en partant en tournée, parfois pendant plusieurs mois, fait déjà rare dans les années 90.

Le business model de Ben Harper est fait d’authenticité et de bouche-à-oreille. C’est en sillonnant les routes des États-Unis qu’il se fait connaître, et fait parler de lui pour sa musique. Les échos se répandent hors des frontières, et sa notoriété se développe notamment en France.
C’est d’ailleurs étonnant que nous aillons eu le goût de l’apprécier, vu ce à quoi nous sommes habitués ici. Oui je râle, vous ne me le reprocherez pas, c’est également l’une de nos spécialités.

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© via Spotify

Une popularité montante due aux nombreux concerts de l’artiste lui permet de vendre ses disques, et ainsi de compenser sa quasi-inexistante couverture médiatique. Ben Harper ne passe ni à la radio, ni à la télé, et ce pour deux raisons majeures.
La première, c’est que les interviews l’emmerdent. Conséquence, pas facile d’être apprécié des journalistes. Ben est un compositeur, il passe donc son temps libre à composer et n’aime pas franchement le passer à se faire harceler de questions auxquelles il n’a pas envie de répondre.

La seconde raison est liée à la complexité de sa musique. Ben Harper façonne son éclectisme à travers ses influences diverses, et le cultive en jouant avec de nombreux groupes et artistes d’horizons différents.
Chaque collaboration le rend ainsi plus difficile à catégoriser, ce qui pose un vrai problème aux médias. Peu sont ceux qui prennent le risque de diffuser un artiste qui change de registre musical à chaque nouvelle production.
Pourtant Ben Harper, ce n’est pas l’histoire d’une musique, c’est l’histoire de la musique, dans sa plus pure diversité. Et cet éclectisme, c’est aussi ce qui fait de lui un artiste libre.

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Ça, c’est pas une gueule à interview.
© via Spotify

La musique de Ben Harper

Un bordel éclectique

Découvrir les fondements de la musique de Ben Harper, c’est ce à quoi aspire cette partie. Et entre nous, ce n’est pas bien compliqué.
Il faut simplement s’accorder sur un truc : Ben Harper ne veut être assimilé à aucun style, si ce n’est à la musique elle-même.

Ses inspirations sont façonnées par le blues originel, la folk et le rock qui en découlent, le gospel et le hip-hop. C’est riche, nuancé, et un brin traditionnel. Il s’amuse à piocher ce qui lui plait dans les grands courants musicaux, pour recréer un univers personnel et coloré.

Toi qui n’a pas écouté cette chanson, laisse ce beatbox du tonnerre te replonger dans le hip-hop qu’on aime.

Alors effectivement, on parle ici de musique américaine, voire même noire-américaine. On retrouve dans ses différents albums des sonorités redondantes, qui pourraient agacer les puristes de l’éclectisme.
Une sorte de fil rouge qui trouve son explication dans son instrument de prédilection : la guitare, et ses dérivées.
Elle est l’origine de toutes ses créations, le support qui transforme ses idées en mélodies. Et à l’origine de cette origine, on retrouve à nouveau son grand-père, et son magasin d’instruments à cordes.
Sur le chemin parcouru depuis l’époque du magasin, Ben Harper a composé pas moins de 14 albums. Voici ceux qui ont marqué sa carrière.

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Ben Harper et sa meuf.
© via Spotify

1994, Welcome To The Cruel World

Pleasure & Pain, c’est le tout premier morceau de Ben Harper. Une première création tout en acoustique, composée sur sa lap-slide Weissenborn. Et si toi aussi tu te demandes ce que c’est, laisse-moi t’éclairer.
Une lap-slide, c’est une guitare au manche creux faite dans un bois spécial, le Koa, qui a la particularité de se jouer à plat sur les genoux, en utilisant la technique du slide. Et si tu te demandes à nouveau ce que ça veut dire, laisse-moi le temps d’en placer une.
Le slide consiste à jouer en appuyant sur les cordes grâce à une slide bar (une petite barre en métal), ce qui ajoute aux sonorités des nuances métalliques, et qui permet de mieux distinguer les notes entres elles.

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La fameuse technique du slide.
© via Spotify

Nous avons donc un morceau et un instrument à la base de son deuxième album, celui qui l’a révélé au grand public, et notamment en France. Welcome To The Cruel World rassemble les différents fragments de l’univers d’un artiste encore anonyme et s’impose comme le socle d’une carrière encore inachevée.

L’acoustique dicte les nombreuses balades musicales de cet album (The Three Of Us, Waiting On An Angel, Forever, Walk Away), un ensemble nuancé par les sonorités blues, la country et les percussions.

Un opus pour le moins révélateur d’un engagement pacifique de l’artiste, qui se refuse d’être un activiste. Ben Harper est plus subtil mais tout aussi tranchant sur le racisme, la drogue et la violence que Bob Marley, à qui il est souvent comparé.

Ainsi, Martin Luther King et Rodney King, symbole de la lutte contre la violence policière aux États-Unis, sont les destins croisés de Like A King. Le thème de la ségrégation est aussi abordé dans le titre I’ll Rise, qui clôt un album riche et technique par un silence de près de 3 minutes pour le moins glacial. Le genre de truc qui met franchement mal à l’aise.

2003, Diamonds On The Inside

Cet opus ressemble étrangement à celui d’un artiste en fin de carrière, qui tire sa révérence sur une dernière production fidèle à l’image qu’il souhaite laisser après son passage. Diamonds On The Inside est un album qui puise dans les créations de ses idoles, comme pour rendre hommage à ceux qui ont nourris son inspiration jusqu’ici.

Temporary Remedy reflète l’âme de Jimi Hendrix, on se méprend à entendre à nouveau les arrangements de Nirvana dans Touch From Your Lust, et Al Anderson, ancien guitariste des Wailers, accompagne l’esprit de Bob Marley dans With My Own Two Hands.

Sauf que cet album marque plutôt un renouveau dans la carrière de Ben Harper, un retour en studio 4 ans après le fameux Burn To Shine, réalisé en collaboration avec ses amis du groupe The Innocent Criminals.
C’est avec cette même bande de potes qu’il produit Diamonds On The Inside, avec une idée très précise de ce qu’il voulait faire : rassembler en 14 titres l’essence même de sa musique.

Ainsi, le reggae côtoie le heavy metal, et le funk précède le blues dans une harmonie surprenante, qui dénote l’aisance avec laquelle Ben s’amuse à ringardiser les artistes monogames.

La guitare n’ayant pas quitté ses bras depuis son adolescence, Ben Harper n’oublie pas de distiller quelques notes acoustiques dans des compositions folk apaisantes.
L’artiste a d’ailleurs su capter l’inspiration pour écrire quelques uns de ses titres les plus reconnus, comme le morceaux éponyme Diamonds On The Inside ou Amen Omen. Un album qui finalement, au delà d’étendre la popularité de l’artiste, traduit sa personnalité et donne une signification à l’éclectisme américain.

2004, There Will Be A Light

Cet album, c’est avant tout un rêve. Celui de Ben Harper d’accompagner en studio et sur scène les Blind Boys of Alabama, vénérables vétérans du gospel.
C’est aussi la concrétisation d’un souhait émis un an plus tôt, lorsque nous découvrions le morceau Picture Of Jesus dans Diamonds On The Inside. Le souhait de produire, à son tour, un album inspiré de cette lumière mystique des églises afro-américaines, comme l’a fait Bob Dylan autrefois ou Chance the Rapper plus récemment, avec les sonorités qui leurs sont propres. Un titre que l’on retrouve à nouveau dans cet opus.

C’est la version présente dans l’album Diamonds On The Inside, question de préférence personnelle.

There Will Be A Light est de ce répertoire qui baigne dans une lumière d’amour et de bienfaisance. Ben Harper le complète par ses influences diverses pour retrouver ce sentiment d’exaltation des messes gospels. Marie et Joseph bougent encore leur popotin au son de Church On Time.

En live avec les Blind Boys Of Alabama.

Un morceau qui clôt cet album de manière bien heureuse, mais qui est précédé de There Will Be A Light, l’émouvant titre éponyme. Une composition qui reflète ce message de bienveillance et d’espoir qui semble guider Ben Harper dans sa quête de liberté.

Finalement, cet album n’est pas une question de foi. C’est le résultat d’une inspiration peut-être éphémère, elle même née d’une véritable volonté de collaborer avec des artistes qu’il admire pour construire un projet qui le dépasse.

2014, Childhood Home

En 2014 et sans vraiment être parti, Ben Harper signe un retour fidèle à ses valeurs de partage, une année après Get Up !, une création honorée du Grammy Award du meilleur album blues.
Après avoir fait le tour du monde, tout ce qu’on veut c’est être à la maison : le temps d’un passage en Californie pour enregistrer un nouvel album avec maman.
Childhood Home est un opus signé Ben & Ellen Harper, un duo mère-fils qui sonne comme un moment intime entre les 2 musiciens complices.

Un instant privilégié qui nécessite de briser la carapace et de chasser le superficiel pour laisser place à une authenticité pure et sincère.
Cet album est entièrement acoustique, Ben avec son fidèle Weissenborn (vous savez ce que c’est maintenant), Ellen accompagnée de son banjo. Des textes écrits chacun de leur côté durant les années précédentes, 4 pour la mère et 6 pour le fils.
L’union des œuvres de ces artistes émérites forme un duo toujours plus intimiste au fil des chansons, sur des mélodies folk et country.

Cet album sort tout droit du Folk Music Center, le magasin familial qui fût le théâtre de leur vie de famille et le témoin privilégié de l’évolution de Ben Harper.
Le garçon qui fît la fierté de sa mère en touchant son rêve musical à sa place l’émeut aujourd’hui en lui permettant d’enregistrer à son tour. Rien pour vous enjailler dans cette production, c’est une suite de morceaux honnêtes, sincères, en harmonie avec le lien qui unit les deux protagonistes.

L’instant « J’ouvre mon petit cœur »

Difficile de trouver un morceau qui se détache dans une discographie longue de 14 tomes, et dans une carrière encore loin de son dénouement.
En 2012, Ben Harper sort By My Side, un album que l’on pourrait considérer comme une rétrospective musicale. Une production qui synthétise l’essence même de la musique de l’artiste en 12 titres.

Au seul titre inédit Crazy Amazing s’ajoutent des esquisses des albums précédents. Les désormais classiques Forever, By My Side, Diamonds On The Inside, Beloved One et Waiting On An Angel font partis des morceaux qui rendent cet album particulièrement agréable à l’écoute.

Après tout, c’est un peu comme lorsqu’on lit la biographie d’un auteur que l’on apprécie : Ben Harper récite sa philosophie, toujours accompagné de sa guitare.

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Il est temps de conclure

Ben Harper, c’est donc une histoire de partage. Une philosophie qui se décline par les multiples collaborations dans ses albums, mais également par un goût prononcé pour les concerts et les tournées entre potes.

Même s’il souhaite lui-même mettre de la distance entre l’homme qu’il est et ses propres chansons, son œuvre n’en reste pas moins le support des ses pensées et du message qu’il souhaite diffuser sur son passage.
Lui qui cherche l’inspiration autant dans la lumière que dans les ténèbres s’efforce de rester fidèle à des valeurs simples et intimistes.

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Le récit de cet artiste ne peut se faire en un article. Son parcours jalonné de compositions éclectiques rend son œuvre complexe, et les albums à venir, s’il y en a, accentueront encore ce sentiment.
Au delà de la diversité qui le caractérise, cette appétence à être là où on ne l’attend pas, c’est peut-être aussi sa façon à lui d’être libre.

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Sans oublier son skate, aussi.
© via Spotify

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