Engineered Garments, ou le japonais qui fait de l’américain

daiki suzuki engineered garments

La nouvelle année est lancée, on repart comme au bon vieux temps, avec un article sur une marque très réputée chez les connaisseurs, beaucoup moins connue dans le grand public. Au vu du prix ça se comprend, mais elle mérite vraiment qu’on s’y attarde dessus. Surtout qu’elle a la particularité d’être tenue par un japonais, qui veut faire de l’américain. Ce qui nous amène à nous demander si nous-mêmes, occidentaux, voulons faire du japonais, ou voulons faire du japonais qui veut faire de l’américain. Je ne suis pas clair ? Je vous propose de lire cet article alors.

L’histoire de Daiki Suzuki, le créateur d’Engineered Garments

D’abord, comme d’hab, parlons du créateur d’Engineered Garments, Daiki Suzuki. Rien de mieux que de connaitre l’histoire d’un créateur pour saisir son cheminement et ainsi comprendre sa marque.

Le début de sa vie

Daiki Suzuki est né en 1962, en pleine période de Haute Croissance au Japon, dans la ville d’Hirosaki. Pour replacer le contexte, à cette époque le Japon se reconstruit et tout lui réussit. Ils découvrent les cultures étrangères, et surtout la société de consommation. Ils sont voraces des produits américains, avec notamment tous les styles musicaux et leurs chanteurs qui faisaient rêver les jeunes filles en fleur. Pour la petite histoire, la ville de naissance de Daiki, Hirosaki, est une des villes les plus réputées du Japon pour ses cerisiers dont l’observation de la floraison est un sport national. Il grandit en pleine nature, à jouer au baseball, capturer des insectes et pécher l’écrevisse avec ses potos.

hirosaki hanami
Une célèbre vue d’Hirosaki. Photo par Japan Magazine.

Il faut savoir que le gamin est un passionné. T’as l’impression que dès qu’un truc l’intéresse, il s’y plonge dedans, jusqu’à se rendre compte si oui ou non il a envie de s’y investir. Par exemple, il tombe amoureux des vélos dans sa jeunesse. Alors il se lie d’amitié avec un vendeur de vélos, et pas plus con qu’un autre, il se démerde pour avoir un job de vacances chez lui, qui se transforme en job étudiant. A cette époque il est au lycée.

L’interet pour la mode

Et c’est au lycée qu’il commence à s’intéresser à la mode. Il s’habille alors dans un magasin à Hirosaki appelé Van Shop Shimizu, et se paie ses fringues avec le salaire de son job étudiant. Il se fait par la même occasion des potes qui ont le même gout que lui pour la sape et la musique. Et comme on est assez cons quand on est un garçon et qu’on a cet âge, ils se laissent tenter par la testostérone qui coule dans leurs veines. Non non ils ne vont pas dans les nombreux sex shops japonais pour s’observer l’urètre, mais décident de se faire une petite compétition pour savoir qui portera les plus belles pièces. C’est à celui qui portera en premier un jean Lee ou des Stan Smith, tout fier.

Mais la compétition, aussi con que ça puisse être, ça permet quelques fois d’aller plus loin que ce qu’on pensait faire. Ni une ni deux, ils commencent avec ses potes à s’intéresser à des pièces de plus en plus rares qu’ils commandaient à Tokyo. Puis une chose en amenant une autre, ils changèrent de style. Alors qu’ils s’habillaient dans la tradition Ivy Style (style des jeunes étudiants des prépas américaines, surnommés aussi preppies), ils tournèrent leur intérêt vers les marques de designers japonais, appelées DC brands. DC pour Designer Character. Pas peu fiers de se la jouer à la Montebourg, ils s’orientent vers des marques telles que Men’s Bigi, Glass men’s, Melrose ou Comme des Garçons.

comme des garçons
La marque japonaise au nom français.

Le rêve de travailler dans la mode

C’est à ce moment que Daiki eut le vague rêve de travailler dans l’industrie de la mode dans le futur. Mais il pensait qu’un garçon de la campagne comme lui ne pouvait pas faire le poids face aux mecs sophistiqués de Tokyo. C’était un cow-boy quoi. Il se résigne alors à ne garder la mode que comme un hobby, et décide de choper un diplôme comme tous les autres gens normaux pour trouver un travail comme tous les autres gens normaux. Il se retrouve donc en 1980 à l’université de Saitama, mais il arrête vite, trop envieux qu’il était de ses amis qui étudiaient la mode à Tokyo. Un an plus tard, après un petit boulot dans une imprimerie, il intègre une école de mode, le Vantan Design Institute. Il rencontre là-bas des gens, se fait des potes, dont certains qui tiennent un concept store et qui l’amenent voir ses premiers défilés à Tokyo. Des étoiles pleins les yeux le gars. Et pendant ses études, sa motivation sans faille l’amène à trouver un job étudiant chez Union Square. Il y rencontre Keizo Shimizu, alors le gérant d’une boutique.

Keizo Shimizu
Keizo Shimizu, l’homme qui sourit. Photo par Nepenthes.

Après avoir obtenu son diplôme et un passage éclair dans un DC Brand, il revient à Union Square pour travailler chez Redwood, la boutique de Shimizu. Il travaillera 5 ans chez Redwood, et deviendra même le propriétaire après que Shimizu ait quitté le job pour lancer Nepenthes, une autre marque. A cette époque Suzuki tombe amoureux des USA et des vêtements confectionnés là-bas.

Sa vie d’acheteur

Il est tellement amoureux, qu’il connait parfaitement les USA sans y être jamais allé, car à chaque fois que Shimizu revenait de ses voyages aux states pour acheter des fringues pour la boutique, Suzuki l’assaillait de questions. Alors à 26 ans il quitte son job actuel et va aux États-Unis pour 3 semaines, à San Francisco, Los Angeles et New York. Après être revenu au Japon en tant que styliste et rédacteur pour des magazines, il se démerde pour devenir acheteur aux USA pour Nepenthes, la marque de son copain Shimizu.

boutique nepenthes
La boutique Nepenthes aujourd’hui, à New York.

Il alla à Boston et y resta 6 mois, pour s’occuper d’un fabricant de chaussures. Ce qu’il devait faire était vérifier et envoyer les chaussures pour le Japon. Et puis un beau jour un pote l’appelle de New York l’appelle en lui disant qu’un shop s’est libéré juste en bas de chez lui. C’est la parfaite opportunité, Suzuki en a les moustaches qui frétillent. Ni une, ni deux, ni trois, il propose à Shimizu d’ouvrir un Nepenthes à New York. Roulez jeunesse lui répond le valeureux Nippon, et en 1998 la boutique ouvre.

Engineered Garments, si ça n’existait pas il faudrait l’inventer

Des débuts opportunistes

Les débuts d’Engineered Garments sont assez opportunistes. Quelques temps après l’ouverture de Nepenthes à New York, Todd Killian, un designer qui cherchait des trucs originaux pour son shop, dit à Suzuki qu’une usine de chemises non loin de chez eux est dans la merde financièrement et cherche des offres. Bim ils sautent sur l’occasion et conçoivent une chemise exclusive avec eux. La chemise sort sous la marque Nepenthes New York, mais va vite se faire rebaptiser la Engineered Garments 19th BD Shirt, du nom de sa nouvelle marque, créée en 1999, car Nepenthes NY avait quelques problèmes. Le but initial d’Engineered Garments était de faire des pantalons made in the US impossibles à trouver au Japon, pour les vendre dans la boutique de Suzuki.

Engineered Garments 19th BD Shirt
La ligne de la 19 BD Shirt est toujours d’actualité, et fait plaisir. Cliquez ici ou sur l’image si vous voulez en savoir plus.

Ça y est, la machine est lancée. Il se consacre à Engineered Garments, intensifie la conception de vêtements, et voyage à travers New York pour trouver des usines textiles. EG ne vend plus seulement des pantalons, et en 2002 il sort une collection complète, pour la première fois. On se souvient tous de sa première fois. Il tient un défilé exclusif au Japon. Boum, les réactions enthousiastes, boum, les japonais aiment sa marque. Faut dire que sa proposition était totalement nouvelle. A l’époque la mode est au fitté et aux chaussures pointues, et lui propose des vêtements bien épais et rustiques à souhait, avec des canevas de 14 oz et des laines de 24-30 oz.

Une marque originale qui se fout des tendances

Depuis la machine est lancée, il expose tous les ans au Pitti Uomo, et il obtient même en 2008 le prix GQ/CFDA du meilleur nouveau designer menswear. Et le prix CGT/CFDT du mec le plus bégé des USA. Tout ça en se foutant éperdument des tendances. En gros, il raconte que ses sources d’inspiration résident dans son expérience, son savoir sur la mode et sa passion du dessin de mode. Pas besoin de bureau de tendances. Faut néanmoins dire qu’il a grandi avec la Haute Croissance et l’admiration des États-Unis. Il se dit peu influencé par sa culture et par la conception japonaise du style américain, mais force est de constater que beaucoup de japonais ont cette même conception, à base de tradition, de robustesse et de durabilité.

surf engineered garments
Et ça c’est la photo juste pour Hans : une photo de son plan de travail, et de ses inspirations pour le monde du surf. D’ailleurs tous les week-end avant d’aller au boulot il va surfer. D’un seul coup Hans l’aime, comme par magie !

Reste plus qu’à savoir s’il s’inscrit inconsciemment dans une tendance ou si c’est lui qui l’a créée. Il a commencé en 1999. Et sa vision de la mode n’a pas changé… En 1999, c’était pas joyeux : le prêt-à-porter à outrance, les couleurs dégueux, la qualité merdique. Et lui proposait de la qualité et des coupes intemporelles inspirées de ce qui se faisait de mieux dans le passé. De là à dire qu’il fait partie de ceux qui ont lancé la tendance qui a mis en avant la qualité en mode homme, il n’y a qu’un pas. On peut aussi dire qu’il est arrivé au bon moment, celui de l’explosion d’internet. Celle-là même qui a permis à l’industrie de la mode de croitre très rapidement en lissant néanmoins toutes les particularités et spécialités qu’on pouvait trouver dans les différents pays. Tout devenait accessible, mais certaines particularités tendaient à disparaitre. Les marques comme Engineered Garments ont alors endossé le rôle de fabriquer des produits introuvables ailleurs.

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Une des premières collections d’Engineered Garments, collection automne/hiver de 2004. Et l’idée était assez proche de celle d’aujourd’hui.

La qualité au détriment du marketing c’est toujours mieux que l’inverse

Donc son idée est de trouver cette chose introuvable ailleurs, que seule la fabrication aux USA peut offrir. Mais en plus d’être très cohérent sur ses produits, en disant qu’un produit inspiré des USA doit être fabriqué aux USA, il est cohérent sur son approche du marketing. Son idée est assez simple. Quand tu vends de la qualité, que tu as une confiance absolue en ton produit, nul besoin de le crier sur tous les toits. Les clients sauront le faire mieux que toi. En plus, le marketing ça coute cher.

Donc il ne s’inscrira jamais dans une stratégie agressive de marketing visant à faire le plus de tapage possible, car ce n’est qu’une façade. C’est pas parce que tu parais sympa que ton produit est bon. Ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas sympas chez Engineered Garments. Comme toute marque ils sont heureux de discuter avec le client pour expliquer le produit. Mais ils n’ont aucune envie de paraitre cool, pas de faux semblants. Car à la fin de la journée, quand le produit a été vendu, c’est le produit qui s’exprime. Et si c’est de la merde, ben t’as beau être sympa ou cool, le produit restera de la merde.

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Après difficile de dire qu’il n’a pas l’air sympa ! Crédits : nothingmajor.com

Notre petit coup de cœur

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Un cargo de chez EG. Cliquez ici ou sur l’image.

J’avais envie de trouver plusieurs coups de cœur, j’ai d’ailleurs trouvé un pantalon cargo magnifique mais j’ai trouvé le prix un peu trop élevé. Et il faut savoir être raisonnable et ne pas se transformer en robot consommateur. J’ai décidé de ne parler que d’une seule pièce, LA pièce qui m’a fait découvrir Engineered Garments : la parka oversized kaki.

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La parka. Cliquez-ici ou sur l’image.

Là il n’y a pas grand-chose à dire. En plus je l’ai trouvée en soldes, mais sur un site canadien, donc à prendre avec des pincettes à cause des frais de port. Un petit conseil, si vous voulez une parka Engineered Garments, alors rendez-vous directement dans les deux boutiques françaises qui vendent du EG : Merci à Paris, et The Next Door à Avignon.

Pour commencer, parce qu’il faut bien commencer, parlons de la gueule de cette parka. Bien oversized comme il faut, et avec un kaki de beau gosse, ça commence bien. On sent l’inspiration militaire à plein nez, avec les immenses poches à rabats et leur boutons pression. La capuche et le cordon de serrage au niveau de la taille, les poignets de manche ajustables et la poche sur la manche apportent le côté pratique qui renforce cette impression militaire. En plus, au niveau des détails qui font la différence, les poches à rabats cachent en leur sein des poches secrètes, ce qui porte à 8 le nombre de poches à l’extérieur de la parka. Il y a carrément un zip en plein milieux de dos, en long, pour permettre plus d’aisance si on souhaite courir avec la parka j’imagine.

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La capuche qui protège bien. Cliquez-ici ou sur l’image.

De plus, en cas de tempête, la capuche monte très haut sur le visage, pour pouvoir recouvrir le menton et éviter la mauvaise impression du menton qui joue au goutte à goutte. La parka est composée à 50% de coton et 50% de nylon. Ce qui apporte une technicité à la parka, sur laquelle les gouttes glisseront bien. Mais aucune laine à l’horizon, donc il vaut mieux mettre un bon pull en laine dessous en cas de grand froid. Ce qui nous amène au prix. 365€ en soldes. Là c’est vraiment une affaire. Mais à son prix normal de 610 €, ça devient très cher, même si le prix est vraiment mérité. Quand on voit le niveau de détails et de finitions du délire, difficile d’espérer trouver ça pour moins cher.

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Les poches secrètes.
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Et le zip de ninja !

La conclusion du bonheur

Comme je vous avais prévenus en introduction, cette marque, au-delà de sa qualité et de son parti pris, nous amène à réfléchir sur les tendances que l’on suit inconsciemment, leurs sources, et les mélanges de culture qui en découlent. Aujourd’hui les japonais sont au sommet de leur art dans la mode (et dans pas mal d’autres secteurs), et tout le monde veut faire du japonais. Mais le truc c’est qu’eux même se sont énormément inspirés de la mode américaine d’après Seconde Guerre Mondiale. Ce qui nous amène à nous casser un peu la tête en réfléchissant à cette boucle infinie. Et peut-être, sûrement, que dis-je sûrement, cet article était une sorte d’introduction à un article futur, d’envergure je l’espère et que j’ai d’ores et déjà commencé. Sur ces quelques palabres mystérieuses, je vous salue, et j’espère que cette marque vous aura mis l’eau à la bouche. Et puis c’est toujours mieux de s’acheter un manteau de grande qualité à 360€ en soldes, que de dépenser son argent sans compter comme un con dans les galeries d’Auchan en période de soldes, en n’achetant que de la merde. Amen.

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Arigato gozaimashita !

La photo à la une est une photo de Daiki Suzuki trouvée sur nepenthes.co.jp. Vous pouvez nous rejoindre sur Facebook et Instagram, histoire de nous encourager kwa.

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